Conditions et objectifs de l´enquête
Partenaires scientifiques, politiques et cadre institutionnel
Cette étude dont l'initiative revient à l'Association pour la Généralisation de l´Inventaire Général de Picardie a été menée par Inès Guérin, chercheur à l´AGIR-Pic pour le compte du Service Régional de l´Inventaire de la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Picardie. L´étude, comprenant la recherche en archives, le travail de terrain et la mise en forme de la documentation sous dossier électronique, a été financée par le Conseil Général de l´Aisne, et les photographies professionnelles co-financées par le Conseil Général de l´Aisne et l´AGIR-Pic. Ces photographies ont été réalisées par Irwin Leullier, photographe à l´AGIR-Pic. Les clichés de terrain ont été exécutés par I. Guérin.
Le travail d´inventaire a été suivi par Martine Plouvier, conservateur en chef aux Archives Nationales et validé par Aline Magnien, conservateur régional de l´Inventaire.
Objectifs de l´enquête
Le but de cette étude est de fournir des éléments de comparaison entre l´architecture et l´urbanisme d´avant et d´après la Première Guerre mondiale afin de saisir les grandes lignes de la reconstruction : selon quels critères les villages ont-ils été reconstruits ? Quelles sont les innovations introduites ici ? De quels modèles architecturaux les nouvelles constructions se sont-elles inspirées ? Quels ont été les enjeux politiques de cette reconstruction ?
Le deuxième intérêt relève de l´histoire de l´art. En effet, les faits d´armes dont l´aire d´étude a été le théâtre sont connus et étudiés. Les chercheurs travaillent essentiellement sur l´histoire et la sociologie de la guerre. Mais le Chemin des Dames devient après les conflits le lieu d´expérimentations et de solutions monumentales à la connaissance desquelles cette étude peut apporter une pierre.
Tout d´abord, l´analyse d´un village se concentre au niveau de son aménagement afin de déterminer quels sont les facteurs de développement qui ont influencé sa physionomie actuelle. En second lieu, il s´agit de présenter le patrimoine bâti de chaque village en vue de mesurer quels sont les éléments architecturaux communs sur l´ensemble du Chemin des Dames.
Pour ce faire, l´étude se présente en cinq points : l´architecture communale (mairies-écoles), l´architecture religieuse et son mobilier, l´architecture funéraire et commémorative (les monuments aux morts et les cimetières), tous ces éléments étant systématiquement traités pour chaque village. L´architecture civile et rurale regroupe maisons, fermes et châteaux. Nous avons donc pris en compte les maisons présentant des éléments architecturaux traditionnels, des habitations affichant au contraire un style propre à la reconstruction issu du mouvement national ainsi que des exemples fameux de fermes à cour close et de cités ouvrières.
Un constat flagrant a été dressé : l´évolution de l´agriculture au cours du 20e siècle engendre la transformation ou la destruction des annexes agricoles vouées à d´autres affectations, notamment résidentielles. Mais ces modifications concernent rarement l´aspect extérieur.
La présente étude permet donc d´établir un état des lieux du patrimoine architectural d´après-guerre et d´en évaluer les transformations au cours du 20e siècle.
Enjeux de l´enquête
Moins connu que Verdun, le Chemin des Dames a toujours souffert d´un déficit de représentation dû aux défaites consécutives subies par l´armée au cours de la Première Guerre mondiale, qui engendrèrent l´épisode des mutineries. Ces échecs, mal vécus par les Français ainsi que par le gouvernement, se traduisirent ensuite par une volonté acharnée de laisser le secteur dans l´ombre, de l´effacer de la mémoire collective.
La mémoire d´un lieu passe pourtant par la représentation physique par l´établissement d´un monument, base de recueillement et de pérennisation du souvenir.
Privé d´édifice fédérateur (la chapelle de Cerny, remplissant ce rôle, n´a été édifiée qu´en 1952), le secteur a donc pendant longtemps été négligé des visiteurs. Mais il bénéficie depuis peu d´un regain d´intérêt dû au 90ème anniversaire de la Première Guerre mondiale. Le souvenir des évènements pourraient donc s´inscrire au sein de l´architecture du secteur, proche de celle d´avant-guerre, transmise par les entrepreneurs de la reconstruction.
De même, les hauts-lieux des conflits que sont les sites classés (plateau de Californie, Bois B1 à Bouconville-Vauclair, le Bois des Buttes à La-Ville-aux-Bois-lès-Pontavert), les tranchées, les tunnels, les carrières participent à cette volonté de ne pas oublier, représentant un enjeu essentiel pour la mémoire nationale.
Les actuels travaux de la RN2 entre Laon et Soissons menacent certains sites (la croix de l'Ange Gardien, située symboliquement à l'entrée du Chemin des Dames) et en détruisent d'autres (les carrières de Chavignon). Cet inventaire arrive donc à point nommé alors que le secteur en péril est en attente de reconnaissance.
Cadre chronologique
Les limites chronologiques se fixent entre le 12ème siècle (pour les éléments les plus anciens, comme les dépôts lapidaires par exemple), et le début des années 1930, qui marque la fin de la reconstruction. Les critères de datation sont facilement appréciables puisque l´ensemble des villages étudiés ont été reconstruits dès 1920.
Délimitation de l´aire d´étude
La distribution des entités sélectionnées ne suit pas une logique géographique puisque le Chemin des Dames ne désigne que la crête du plateau traversée par la route départementale 18. De plus, le choix des communes étudiées ne résulte pas d´une contrainte administrative mais a bien été déterminé par l´intérêt historique et architectural qui les lie. L´étude regroupe donc 24 villages répartis sur 4 cantons (13 sur le canton de Craonne, quatre sur le canton de Vailly-sur-Aisne, quatre sur celui de Neufchâtel-sur-Aisne et un sur le canton d´Anizy-le-Château).
Objets de l´étude
Le repérage prend en compte le bâti issu de la reconstruction. Le corpus le plus important est composé de maisons privées et de fermes. L´ensemble des bâtiments communaux (mairies-écoles, églises) a été également systématiquement pris en compte. Tous les monuments aux morts (communaux, commémoratifs ou privés), les cimetières ainsi que certains sites mémoriaux témoins du passage des soldats pendant les quatre années de conflits (carrières, blockaus, tranchées et boyaux conservés intacts après la guerre) ont été étudiés.
La sélection des édifices a été effectuée selon certains critères, édictés par la méthodologie du Service de l´Inventaire :
- représentation de chaque période de construction, en quart de siècle
- représentation de chaque maître d´oeuvre rencontré
- représentation de chaque style rencontré
- édifice répondant à une typologie récurrente
- édifice unique par son style, son décor ou son projet d´ensemble.
La visite d´un édifice sélectionné et donc étudié autorise une approche plus approfondie, alors qu´il est parfois difficilement visible depuis la rue. La visite intérieure permet de juger du mode de distribution vertical et horizontal, ainsi que du décor.
L´inventaire des objets a été effectué selon les mêmes critères de sélection mais tous les objets Ancien Régime ont été retenus.
La notion de dossiers d´ensemble dans lequel s´inscrivent ces édifices est importante, permettant ainsi d´étudier leur répartition au sein de la commune.
La notion de dossiers collectifs synthétise les données de l´ensemble d´un corpus, afin de fournir une analyse pertinente (caractéristiques, particularités, discordances...). Ils s´appuient sur des critères d´analyse recueillis lors du repérage, du type : matériau de construction, nombre de travées et de niveau, forme du toit, ou critères descriptifs caractéristiques de la thématique (mention de pignon à redents, de balcon).
Les dossiers objets ont également permis d´extraire une thématique concernant certains types d´oeuvre (maître-autel à décor de mosaïque, vitraux).
Calendrier des opérations
Cette étude a débuté en mars 2003 et s´achève en octobre 2005.
Recherche documentaire
Les recherches documentaires ont enrichi un premier dépouillement réalisé aux Archives Départementales de l´Aisne par Bernadette Demetz, secrétaire de documentation à l´AGIR-Pic.
Sources bibliographiques et sources d´archives
Il n´existe aucune bibliographie précise sur la reconstruction de l´aire d´étude concernée. Les recherches se sont donc nourries en majeure partie du dépouillement des archives communales, départementales, nationales et diocésaines.
Les cahiers de délibérations municipales et monographies communales constituent une source documentaire essentielle dans la compréhension de l´histoire de la reconstruction d´un village.
Le manque de documention (cadastres anciens, archives communales) a parfois empêché une analyse objective des éléments urbanistiques.
Sources figurées
Les cartes postales et documents figurés (notamment ceux de l´historien Amédée Piette conservés aux Archives Départementales de l´Aisne) sont des documents essentiels puisqu´ils permettent de confronter l´architecture et l´urbanisme d´avant et d´après-guerre. Certains bâtiments, totalement détruits et non reconstruits, peuvent donc parfois être appréciés.
Plans d´architecture
Les dossiers de dommages de guerre (séries 10 R et 15 R des Archives Départementales de l´Aisne) fournissent les plans et coupes des modèles-types des constructions d´avant-guerre. Pour les bâtiments communaux, certains conservent les étapes successives. Cette série permet ainsi de visualiser l´évolution des projets, généralement liée à un déficit de financements.
Bref historique
Le Chemin des Dames doit son appellation au fait que cette voie était empruntée par les filles du roi Louis XV, Mesdames Victoire et Adélaïde, lorsqu´elles venaient rendre visite à leur ancienne gouvernante, la duchesse de Narbonne Lara, propriétaire du château de la Bove, situé sur l´actuelle commune de Bouconville-Vauclair. Mais sa valeur historique, essentielle dans l´histoire de notre pays, tient au fait que cette partie de l´Aisne a de tous temps fait l´objet de multiples enjeux militaires. En effet, sa situation stratégique aux portes de l´Île-de-France lui valut d´être souvent envahie par les troupes ennemies. Investie par l´armée de César lors de la Guerre des Gaules, elle fut à plusieurs reprises le théâtre de violentes frictions aux 12e et 13e siècles entre les petits-fils d´Hugues Capet et les seigneurs féodaux, pendant la Guerre de Cent Ans, lors de la Fronde, au cours de la Campagne de France en février et mars 1814 lors de laquelle les Prussiens furent repoussés par Napoléon Ier. Un siècle plus tard, le secteur allait de nouveau entrer dans l´Histoire.
Le 13 septembre 1914, les combats débutent sur le Chemin des Dames lorsque les armées franco-britanniques repoussent les Allemands au nord de la vallée de la Marne. L´ennemi choisit la rive droite de l´Aisne pour la position défensive naturelle qu´offre ce plateau aux versants pentus. En prenant la future Caverne du Dragon le 25 janvier, les Allemands peuvent ainsi consolider leur réseau défensif. Ils aménagent alors les nombreuses carrières creusées sous le plateau, et créent un réseau de tranchées gigantesque occupé d'abris bétonnés, de casemates, de boyaux afin de circuler à l'abri des bombardements. Ils percent des tunnels permettant l'accès à couvert aux lignes de front. La guerre de position qui débute alors dure trois ans.
Jusqu´en avril 1917, le Chemin des Dames connaît une période de répit dans les combats. Le 16 avril 1917 marque un tournant avec l'offensive dirigée par le général Nivelle qui vise la conquête de la partie orientale du Chemin des Dames et la rupture du front allemand. Mais le site, parsemé de barbelés, de blockhaus et de casemates, forme une forteresse imprenable. De plus, la géographie du lieu rend l´avancée des troupes quasiment impossible. Cette journée se solde par des pertes terribles du côté allié, engendrant révoltes et mutineries dans le camp français. Le 23 octobre 1917, le général Pétain effectue l´attaque de la partie occidentale du Chemin des Dames au fort de la Malmaison : les Allemands évacuent alors la partie orientale. Jusqu´en mai 1918, le Chemin des Dames redevient un secteur calme. En septembre et octobre 1918, grâce au renfort des troupes américaines, les alliés reprennent le dessus après l´offensive allemande des 27 et 28 mars. Le 12 octobre, le secteur est entièrement conquis et le 13, Laon est libérée.
En quittant ses positions, l´ennemi se livre à des destructions systématiques. Le Chemin des Dames est entièrement dévasté. Le sol est totalement bouleversé par les tranchées, les réseaux de barbelés, les casemates, les trous d'obus.
Le secteur subit également quelques destructions lors de la Seconde Guerre mondiale, mais qui n'altèrent en rien son aspect.
Chercheur de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, région Hauts-de-France.