Justifications historiques
Station perdue au milieu des dunes, Fort-Mahon est à la fin du 19e siècle un site aride, composé de sable brûlant en été, qui s'envole au moindre coup de vent. Les rares constructions en font une station encore triste.
Pour la rendre attirante, les promoteurs du site, lotisseurs et concessionnaires des bains, utilisent des arguments divers. La proximité de Paris, à 4 heures, puis 3 heures rend le site plus civilisé. On peut même faire l'aller-retour dans la journée. Deuxième argument, le caractère historique : on parle de 'domaine', et de citer les propriétaires successifs de ces dunes giboyeuses, tous issus de l'aristocratie : le comte d'Artois (Charles X), le prince de Rohan, le marquis de Croix, le comte de Butler, la marquise de Calonne, la marquise de Bryas, les familles Lagrenée-Vatiéval et Lagrenée-Duchaussoy (in : Bonnefond...).
Une plage 'à bon marché'
Michel Bonnefond, demeurant à Paris, jette son dévolu sur les dunes de Fort-Mahon, alors propriété de Petit. Il propose de mettre en place une 'plage à bon marché' selon son appellation, partant du principe qu'il n'est pas nécessaire de dépenser trop pour bénéficier des bienfaits de la mer. Du point de vue de la nourriture, Fort-Mahon est situé dans le Marquenterre, où abondent les produits de qualité à moindre frais (lait, oeufs, primeurs, viande). La plage de Fort-Mahon dispose des mêmes qualités hygiéniques qu'à Berck où de nombreux enfants parisiens viennent en cure, et où la famille de Rothschild a fait construire un établissement de soins et sa propre villa. Par ailleurs les prix des terrains et des constructions est jugé modique (pour 6 à 10.000 francs, on peut se faire construire une maison de 6 à 10 pièces). Selon le promoteur : une spéculation de cette nature convient particulièrement à des dames âgées, officiers ou employés retraités, amateurs de la chasse et de la pêche, ayant besoin d´un placement de tout repos et sans aléa et désireux de faire produire le plus de revenu possible à leur petite fortune sans l´exposer dans les affaires véreuses qui pullulent aujourd´hui, puisque les rentes et obligations françaises ne donnent plus que des revenus dérisoires. Cette opération pourrait aussi être faite par toute personne voulant se créer un bon revenu en bien foncier, tout en ne s´occupant de sa propriété que financièrement, c'est-à-dire pour en toucher les loyers.
La voirie
Axe central et historique de la station, l'avenue de la Plage est une voie large de 25 mètres qui relie une voie ancienne (au Sapins, actuel carrefour du château d'eau) à la mer, sur 1,5 kilomètres.
Sa fonction première est d'atteindre la plage, raison pour laquelle elle est tracée de façon très rationnelle, perpendiculaire à celle-ci, en évitant toute courbe.
En front de mer, l'avenue s'épanouit au nord et au sud par les Boulevards Nord et Sud, actuels boulevard Maritimes Nord et Sud.
Autour de l'avenue viennent aboutir des voies secondaires, perpendiculaires et moins larges.
La station s'équipe
Au cours de l'entre-deux-guerres, on dénombre quatre garagistes, implantés le long de l'avenue :
- André Dumini (Citroën)
- Joly, garage Saint-Christophe (Renault)
- Ollier, garage de l'avenue
- André Gallois.
Pour les besoins quotidiens, des boucheries (F. Girard vend de l'agneau pré-salé de la Baie d'Authie), boulangeries (Germain), épiceries, magasins de quincaillerie (Les Galeries de la mer, Neptune), pharmacies, et les incontournables agences de location qui vendent aussi des terrains (E. Noël, Ducatteau).
Les loisirs à Fort-Mahon
Les archives départementales de la Somme conservent un certain nombre de documents (notamment dans la série Q des biens domaniaux) montrant que la chasse à la hutte dans les mollières du nord de la commune, dans la baie de l'Authie, était une activité ancienne. Les chasseurs sont originaires de toutes classes sociales, autant les gros propriétaires terriens que les ménagers, manoeuvriers, cafetier, retraité des douanes, maçon, concierge, demeurant à Fort-Mahon (voir 2 Q 46 et 2 Q 47).
Liste des distractions citées dans un guide touristique de 1910 (La plage de Fort-Mahon...)
- baignades surveillées par des maîtres-nageurs
- pêche à la crevette
- recherche des crabes et des coquillages pour collections
- parties de croquet sur le sable, tennis, golf, ballon, tambourin
- aide des pêcheurs
- jeux aux Bosquets
- fêtes : jeux, concours
- chasse en baie d´Authie
- chasse dans les garennes (avec actions de chasse)
- casino, avec bals, petits chevaux, baccarat : le nouveau casino municipal sera construit pour la saison prochaine
La plage, à marée basse, est une plage de sable mouillé, ferme, sur lequel les véhicules peuvent rouler. Les bâches sont idéales pour les jeux des enfants.
La plage est qualifiée de 'plage des enfants'.
Dans un guide de 1910, on peut lire : 'L´air vif vient fouetter leur sang, le fait circuler plus vite, le vivifie, le régénère, et le prépare à supporter plus tard aisément l´insalubrité de l´agglomération des villes. Après de pareilles journées, l´appétit est formidable et le sommeil de plomb même pour ceux atteints habituellement d´insomnie' (La plage de Fort-Mahon..., pp. 4-5).
Les qualités climatiques sont vantées : 'Le gulf-stream vient frapper les côtes de Fort-Mahon et de Berck, ce qui explique que le climat est plus rigoureux une lieue au-delà de Berck au Nord et une lieue au-delà de Fort-Mahon au sud' (idem, p. 5). La comparaison avec Berck s'arrête cependant là : dans les lignes suivantes, le guide précise que contrairement à Berck, Fort-Mahon est une station attrayante et gaie, sans hôpitaux et sans malades.
En 1932, on vante l'ensoleillement de la plage, atténué par les embruns, et la qualité de la nourriture, issue des fermes du Marquenterre.
Chercheur à l'Inventaire général du patrimoine culturel de Picardie de 2002 à 2006, en charge du recensement du patrimoine balnéaire de la côte picarde.