Les édifices et monuments de Péronne p. 169-175.

L'Architecture, 1919, N8, p. 173-175.

"Il s'agit à présent de restaurer et de reconstruire, ce qui présepeut-être autant de difficultés d'un côté que de l'autre.

De l'église il reste encore assez d'éléments pour qu'une restauration, quelque délicate qu'elle soit, paraisse possible. Le château n'a qu'une tour écroulée ; elle pourra être réédifiée si les voûtes ne sont pas effondrées, ce que le déblaiement fera connaître. Il en est de même pour la porte de Bretagne, dont les toitures surtout ont souffert. Mais pourra-t-on sauver la jolie façade de l'hôtel de ville ? Quand à la vieille maison de bois, elle a disparu à jamais.

En ce qui concerne la ville elle-même, dont la reconstruction totale s'impose, que convient-il de faire?

Cette reconstitution des cités détruites soulève de multiples problèmes, que nous n'avons pas, bien entendu, la prétention de résoudre ni même seulement d'exposer ici. À ce sujet, tout a été dit, et ne saurait l'être mieux, par M. Paul Léon, directeur des services d'architecture aux Beaux-Arts, dans sa conférence à l'Ecole supérieure d'art public sur les monuments historiques. Cependant, nous pouvons une affirmer que si, parmi les questions soulevées à ce propos, il en est une d'importance capitale et qui prime toutes les autres, c'est assurément celle de savoir si la reconstruction doit se faire, ou non, sur le même emplacement et d'après le plan de la cité au moment de sa destruction.

On a déjà beaucoup discuté à ce sujet et il semble bien qu'on ne peut adopter une règle générale, mais qu'il y ait une question d'espèces, comme on dit au Palais, chaque cas différent devant recevoir sa solution particulière.

Les bourgs ou villages, situés en pleine campagne dans les pays plats, qui auront été détruits au point de n'en pouvoir reconnaître l'emplacement, ce qui est malheureusement trop fréquent, pourront évidemment être reconstruits dans la même région, sur le site le plus favorable et suivant un plan rationnel, en faisant table rase de ce qui existait auparavant. Mais des cas se présenteront, tels, par exemple, que celui de Dinant, dont il a été question de laisser subsister les ruines comme vestiges de guerre, et de rebâtir la ville à côté.

Or, on se heurterait là à d'insurmontables difficultés matérielles,car Dinant se trouve sur une étroite bande de terrain, resserrée entre la montagne et la Meuse.

La situation de Péronne est sensiblement analogue, puisque la ville est construite sur une sorte de promontoire entouré d'eau, et que son plan s'est modelé sur la configuration du site.

Qu'on profite de sa reconstitution pour apporter dans son aménagement toutes les améliorations voulues par les progrès de l'hygiène et de l'édilité moderne, propices aux développements futurs, ce sera pour le mieux. Que, dans cette ville, bâtie toute en longueur, 0n taille, à travers ces interminables rues parallèles, des couloirs de dégagement, nous en sommes d'accord. Que même, pour nous défendre contre l'oubli, car avec un peuple de la mentalité de celui , qui fut notre agresseur, il faut rester sur le qui-vive, on laisse subsister quelques saisissants témoins d'une aussi prodigieuse dévastation, nous y souscrivons volontiers. Mais nous le proclamons hautement : Péronne doit être reconstruite sur la colline qui fut son berceau, où elle s'est développée, où elle a vécu malgré les troubles des temps, où, nous l'espérons, elle vivra bien longtemps encore, dans la paisible quiétude de sa tranquillité retrouvée, après tant d'orages. Tel est, croyons-nous, le vœu de ses habitants. :

A. PERRAULT-DABOT.

Treize ans après la guerre, dans la Somme, des familles nombreuses vivent en troglodytes dans des tonneaux de tôle ondulée. Péronne. Mai 1931.

A Genève, il y a quelque deux ou trois ans, on célébrait devant moi ce miracle : la résurrection de nos régions dévastées. Quelqu'un prononça le nom de Péronne. Une Américaine fit la moue.

— Péronne et ses tonneaux ! murmura-t-elle.

Je dressai l'oreille.

Les tonneaux de Péronne ? Qu'est-ce là ?

Un vieux magistrat de l'Ohio, qul précisément rentrait d'un pèlerinage au Mont-Saint-Quentin, où je compris qu'il avait des raisons personnelles d'aller se recueillir à chacun de ses passages en France, me fournit cette explication sibylline :

- Votre pays, cher monsieur, est à ce point traditionaliste, qu'ayant à réédifier ses villes détruites, il n'a pas voulu que la tuberculose y perdit tous ses droits. Mais comment, quelque nostalgie qu'on en ait, ressusciter le taudis abattu par la mitraille ? C'est bien simple. On a construit des taudis nouveaux.

La conversation n'alla pas plus loin, car, s'ils réprouvent l'inconfort comme un péché, les Américains sont courtois, et j'oubliais tout à fait les tonneaux de Péronne. Je ne m'en serais plus jamais soucié, probablement, si, coup sur coup, ces jours-derniers, à guère plus d'une semaine d'intervalle, je n'avais par deux fois reçu, et à vrai dire sans les chercher, des nouvelles de mes tonneaux péronnais. D'une part, la courageuse petite revue du colonel Godchoten publiait, sous la signature de Mme Mary Madlan, une description horrifiante. Et quelque journal d'Amiens, d'autre part, comme je parcourais par désœuvrement sa chronique régionale, m'annonça que la municipalité de Péronnè avait résolu d'en finir dans le plus court délai — c'est-à-dire d'ici deux lustres ou trois — avec ses taudis tout neufs que l'Amérique ne lui a jamais pardonnés.

J'ai voulu, avant qu'il disparaisse, me donner le spectacle de ce paradoxe.

C'est une histoire pleine d'enseignements de tous ordres que celle des tonneaux de Péronne. Abordons-la, comme il sied, par le commencement, et que les dieux nous gardent, chemin faisant, des tentations de la philosophie sociale. — Alexis Dunan.

"Dès le 11 novembre 1918, la guerre ayant dit son dernier mot, tout ce qu'il restait de Péronnais à travers la France reflua d'un même mouvement, vers ce qu'il restait de. Péronne. Il restait, en vérité, plus de Péronnais que de Péronne. De ci, de là,une cave avait conservé quelque chose de sa voûte, un lambeau de plafond demeurait suspendu, malgré ses plaies, à des murs qu'un miraculeux équilibre maintenait debout. Ce fut le temps héroïque et fraternel des « maisons fondues ». On se serrait comme on pouvait dans ces abris de hasard, toute considération de classe et de rang écartée, le même souci chez tous primant tous les autres : rebâtir la cité, relever les maisons, reconstruire les usines, rétablir en un mot, et au plus vite, les conditions de la vie pacifique d'autrefois, qu'on avait bien gagné de recouvrer. Où s'était effondrée, sous le 210 fusant ou la bombe d'avion, une bicoque bancale, désormais s'érigeait un solide immeuble en meulières, à deux ou trois étages.

Le coefficient de la victoire multipliait tout. Péronne la mutilée, Péronne l'éventrée, renaissait de ses cendres, ville riche, ornée de tous les fastes, de tous les signes de la puissance : huit banques (pour quatre mille habitants) ; un collège de filles où cent pensionnaires seraient à l'aise et pour lequel on en trouve péniblement, bon an mal an, trente ; un hôpital qui ne comprend pas moins de dix-neuf pavillons ; une sous-préfecture qui est un château, et tout à l'avenant.

Quand la ville se retrouva plantée sur ses fondations, l'heure vint que chacun prit possession de son bien multiplié.

Il y eut, de nouveau, des propriétaires et des locataires.

La Croix-Rouge française levait tranquillement le camp.

Les mécènes de Californie, las de distribuer les aumônes qui ne changeaient rien à rien, et un peu dégoûtés, pour tout dire, de voir aller tant de milliards de notre propre argent à des gaspillages, tandis que nous n'avions pas un sou pour les crèches, pour les consultations de nourrissons, pour le logement des vieillards et des familles nombreuses, les Américains, nous tirant galamment leur feutre, nous laissaient patauger tout à notre aise dans nos routines inhumaines.

C'est alors qu'on Imagina — système D ! — de parquer les sans-logis des régions reconstruites dans les tonneaux de l'armée.

Ce qu'on appelle, à Péronne, un tonneau — et je m'excuse de venir si tard à ma définition — c'est une espèce de tunnel métallique, aménagé à l'aide de deux ou trois de ces épaisses taies ondulées qu'on utilisait, pendant la guerre, et dans l'artillerie en particulier, soit pour renforcer un abri de terre, soit pour abriter directement du matériel ou des munitions. On posait la tôle à même le sol, et cela protégeait assez bien de la pluie et des petits éclats, sans plus. Mais, dès l'orage ou le bombardement passé, on se hâtait de sortir de son antre de fer, car l'atmosphère y était, suivant la saison, glaciale ou suffocante.

Pour loger ses familles nombreuses donc, Péronne, ayant obtenu de l'armée quelques centaines de tôles, les disposa tout bonnement dans ses quartiers les plus excentriques, et décréta que le problème de l'habitation se trouvait ainsi résolu. On se mit en paix avec sa conscience en décidant par ailleurs que ces abris s'appelleraient « provisoires », moyennant quoi l'on a pu, depuis dix ans, négliger tout aménagement des sentiers d'accès : ce sont, en fait, à la moindre pluie, d'impraticables fondrières, et l'on sait assez aujourd'hui ce qu'est la boue picarde. Qui veut, en hiver, s'assurer de ses propres yeux que les troglodytes des tonneaux, Diogènes malgré eux, ne sont pas tous morts de froid et d'inanition dans leur tanières, doit prendre la précaution d'attacher ses chaussures à ses mollets avec de forte ficelle.

Je viens de visiter quelques-uns de ces tonneaux, ou plutôt de ces demi-tonneaux, où s'entassent encore des misères physiologiques et des misères tout court dont j'aime mieux, tout compte fait, ne pas tenter la description. On a, dans une insurmontable nausée, à la fin plus forte que la pitié, la sensation d'une humanité larvaire, qui se ment, ou plus exactement qui croupit, dans un demi-jour équivoque et fétide de vieille cave. On entend les rats grignoter le plancher, à défaut de mieux. Quand l'œil s'est habitué à l'ombre, il finit par distinguer, sous un amoncellement de bardes, trois, quatre, cinq lits, accotés. La tuberculose n'a qu'à taper dans le tas.

J'ai vu des enfants mangés de crasse et de fièvre, aux longues joues terreuses, des femmes presque nues sous la blouse, un peu hagardes à force de tromper la faim et de recevoir des coups du mari alcoolique, des vieillards immobilisés par les rhumatismes sur leur chaise, devant la porte du tonneau, et qui n'avouaient d'espoir que celui d'être assez valides pour « aller à betteraves », la saison prochaine. Neuf mois par an, il rêvent ainsi de ces trois mois durant lesquels ils mangeront.

L'admirable infirmière de la Croix-Rouge, Mlle Franget, qui peu ou prou entretient tout ce pauvre monde avec ce qu'il lui reste des libéralités de la dernière mécène californienne, miss Crocker, et qui m'accompagnait dans cette démoralisante visite aux tonneaux du « trou Beaudelot », feignait toujours de s'étonner, car il était midi, qu'il n'y eût rien à cuire sur le feu pour le repas de tout à l'heure. C'était la même réponse partout, résignée :

— C'est qu'on n'a rien, mademoiselle !

— Mais enfin, il faudra bien manger. Les enfants.

Et c'était la même réponse, toujours :

— On va tirer une salade.

Péronne a honte, je l'ai dit. Elle veut se délivrer de ses tonneaux. Elle fait édifier pour les tristes familles qui s'y terrent encore, d'autres maisons provisoires, en pIerre celles-Ià de deux pièces avec des fenêtres qui s'ouvrent sur l'air et le soleil du bon Dieu. Les familles les plus nombreuses sont pourvues déjà. Mais dix an de tonneau ont hypothéqué les constitutions les plus robustes. J'ai vu ce matin, passer une jeune femme de trente-cinq ans, fine de traits et qui tenait par la main sa fillette. Elle allait, l'échiné cassée comme une vieille. Et l'enfant toussait dans ses mains. Mlle Franget les a reconnues. C'étaient d'anciennes clientes de« ch'trou Beaudelot ».

Et s'il n'y avait que Péronne !

Il y a dix-sept communes, autour, qui parquent aussi leurs pauvres dans les tonneaux de l'armée : Mont-Saint-Quentin, Moislains, Bouchavesnes, Beaumetz, Cartigny, d'autres.

On m'a cité, à Cartigny, une femme encore jeune qui a mis au monde dix enfants. Trois sont morts de méningite tuberculeuse. Un, la mère l'ayant enfermé dans le tonneau le temps d'une course, a été trouvé carbonisé près du poêle. Un - autre, la saison suivante, est mort de froid. Le dernier est né avec un seul bras. Traduisez : défaut de nutrition de la mère pendant la grossesse.

— C'est qu'on n'a rien, mademoiselle !

Mlle Franget, un peu honteuse, m'a dit :

— Il me reste encore, en tout et pour tout, environ dix mille francs du fonds Crocker. C'est de quoi distribuer un peu de lait et de médicaments pendant quelques mois. Apres il faudra bien que je m'en aille, moi aussi.

Bah ! la ville, de Péronne fera construire, à l'hôpital, un vingtième pavillon, pour le traitement des tuberculeux."

Alexis Danan, Paris-soir, 28 mai 1931, p. 1 et 2.

En 1836, Péronne compte deux hôtels intra-muros : rue de la Porte-Neuve (actuelle rue de la Caisse-d'Epargne), tenu par J. Scalas maître d'hôtel, et Cul de Sac du Chaudron (vestiges 2 rue Alfred-Rey), tenu par Fauthier, veuve Lardier maître d'hôtel, un relais de poste (rue du Vert-Muguet) et une auberge (rue Gladimont, Jean-Baptiste Bachelot). Il existe également des auberges dans les faubourgs et au Quinconce (2).

En 1846, trois hôtels sont signalés sur la Grande place :

• Jean-Baptiste Bachelot (au 40), ancien aubergiste devenu maître d'hôtel, qui loge et emploie : garçon de salle, aide de cuisine, servante et 2 garçons d'écurie ;
• Félix Liautaud (au 42), qui loge chef de cuisine, garçon de chambre, 1 garçon de salle, 2 garçons d'écurie ;
• François Aimable Caron (impasse du Chaudron), qui loge 1 garçon d'écurie, 1 garçon de table, 1 servante, 1 aide de cuisine, 1 domestique

ainsi que des auberges rue Saint-Fursy (2), rue Gladimont, rue du Vert-Muguet, rue Saint-Sauveur et dans les faubourgs de Paris et de Bretagne (2), à la Chapelette, au Quinconce (2), au hameau de Saint-Denis (3).

En 1856, Jean-Baptiste Bachelot est toujours présent sur la Grande-Place, comme Louis Victor Caron, impasse du Chaudron, qui a succédé à son père. Il existe une auberge rue Gladimont.

La liste électorale de 1869 signale : aubergistes (6), cafetiers (2), maître d'hôtel (Louis Victor Caron) et restaurateur (Driencourt).

En 1872, l'hôtel du Chaudron (impasse du Chaudron), est tenu par Octave Caron qui succède à François Aimable, un relais de poste (rue des Juifs) et plusieurs auberges sont signalées sur la Grand'Place, rue Saint-Fursy (2), rue Gladimont (2), et dans les faubourgs de Bretagne (4) et de Paris (2), à Saint-Denis, au Quinconce (2). Il existe également un restaurant rue Saint-Fursy.

La liste électorale de 1884 signale deux maîtres d'hôtel : Léon Désiré Caumartin (49 ans) et Emile Leleu (37 ans).

En 1911, la ville compte 5 hôtels

• rue du Paon : Hermine Boidin.
• Cul de sac du Chaudron : hôtel Saint-Claude (Paul Fourrière)
• rue des Naviables (44) : Pierre Hénoque
• rue Béranger (30) : Jean Robquin (3 employés)
• rue Béranger (1) : Victor Vitet, installé à Péronne avant 1904, date de la naissance de sa fille.

et plusieurs cafés et restaurants : rue Saint-Sauveur, Grand place + pâtissier, faubourg de Bretagne. Un aubergiste est également signalé faubourg de Paris.

Au lendemain de la première guerre mondiale

• rue Béranger : Raoul Jules Pruvost originaire d'Amiens (1921)
• rue des Chanoines : Emile Deparis (1921, 1926) Paul Fourrière (1926)
• rue Saint-Fursy : Juliette Deliencourt (1921)
• Grand'Place : Roger Lognon originaire de Flixecourt (1921, 1926), Raphaël Cantrelle originaire de Pernois (1921, 1926), hôtel CN 1924d angle place, rue Vert-Muguet.
• Faubourg de Paris : Léon Amédée Boucourt (1921, 1926) Charlotte Queruel Eugène Payes associé 1 employé 7 pensionnaires (1921).
• Chapelette Héloin hôtelier (1932).
• avenue des Australiens : auberge La Quenouille
• rue Beaubois : hôtel des Remparts tenu par Renée Barbare (annuaire 1932 et recensement de 1936).
• Boulevard des Anglais : hôtel tenu par Charles Normand (1931, 1932), puis par Marguerite Normand, originaire de Roye (1936)
• Esplanade du Château : restaurant (1926) et rue Gladimont
• Rue Danicourt hôtel du Pavillon (1932).
• avenue de la Gare K. Thermonir hôtelier (1932)
• rue Gladimont : Marcel Louis Rabache (1926), Victor Lefèvre aubergiste (CN 1926d), hôtel Paul Fourrière, Ancien Postillon, Ch. Messin hôtelier (1932)
• Grande Place hôtel de la Paix, brasserie restaurant J. Robbe (1932) Rabache-Fourrière (1932)
• Quinconce, route des Moislains E. Cordonnier (1932)
• rue Saint-Fursy Hôtel Saint-Fursy (1932)

PÉRONNE APRÈS LA GUERRE DE 1914-1919

Nous passerons sous silence les édifices publics modernes et sans caractère architectural spécial, pour dire ce qu'il advint de Péronne, après la première retraite des Allemands, qualifiée par eux de génial repli stratégique. Ils incendièrent complètement la ville et la détruisirent méthodiquement, maison par maison. A Péronne plus qu'ailleurs, les ruines témoignent d'une rage déployée à froid en faisant montre d'une méchanceté diabolique et minutieuse. Tout ce qui n'a pu être emporté a été brisé ; il n'est pas resté un tesson utilisable. Et, cherchant après cela ce qu'ils pourraient détruire encore, ils se sont rués lâchement sur les arbres fruitiers. Fureur de déséquilibrés, car ils ont commis là des actes contre nature !

Bien entendu, la vieille maison de la rue Saint-Fursy n'a pas trouvé grâce devant les incendiaires. On ne voit plus que les ouvertures béantes des caves. Les naïves statues de l'imagier picard ont certainement été démontées et emportées auparavant ; de même celles de Marie Fouré et du marin Delpasse ont été déboulonnées et fondues (i). Les monuments ont un peu mieux résisté, grâce à la solidité de leur construction, mais si l'anéantissement a été moins complet, l'acharnement de l'ennemi fut le même.

L église est en ruines. Son haut clocher est anéanti. A l'intérieur, les voûtes ont sauté. Les gros piliers, déracinés, s'étayent mutuellement; d'autres ont été abattus et leurs tambours sont superposés comme les jetons d'un jeu de dames. Les arcades ogivales s élancent et, tranchées brusquement, s'interrompent tout-à-coup dans le vide;les clochetons s'inclinent en porte-à-faux. Bien entendu chaire, orgues, statues, grille du chœur, presque tout a disparu.

Assez d éléments subsistent, toutefois, pour la restauration ; mais ce ne sera plus elle, quelles que soient l'habileté et la science éprouvées des architectes qui seront appelés à lui donner une nouvelle existence. Le pavillon renaissance de l'Hôtel de Ville n'est plus qu'une carcasse. Le toit a cédé sous l'explosion, et, en retombant, a crevé les parquets des deux étages.

Un trou d obus immense s'ouvre dans la bibliothèque-musée. Tout l'édifice penche et semble vouloir s 'effondrer. Des lézardes décapitent les salamandres de François Ieret zigzaguent à travers les bas-reliefs de la façade, où les Allemands avaient placardé un immense écriteau portant on, lettres. colossales soigneusement peintes, le distique devenu célèbre : NICHT vERGERNNUR WUNDERN! Ne vous indignez pas, étonnez-vous seulement ».

En effet, c'est du beau travail ; mais si l'on est consterné, c'est surtout de voir jusqu'où peut aller la méchanceté allemande.

Sera-t-il possible de sauver au moins la jolie façade de cet Hôtel de Ville? On se le demande avec anxiété, car elle menaçait ruine, et il a fallu abattre une grande partie de ce qui restait. Espérons qu'on aura recherché ses moëllons un à un pour les remonter les uns après les autres, non sans péril pour leurs sculptures. Les façades sur la place Saint-Sauveur sont à peu près intactes. C'est le château qui, en raison de l'épaisseur de ses murailles, a été le moins éprouvé. Les Allemands ont réussi à faire sauter la tour construite à droite de l'entrée,et qui s'est écroulée dans le fossé; mais ils n'ont pu ou n'ont pas eu le temps de détruire les autres tours. A part les dégâts des toitures, le reste du château est intact. La restauration en sera donc possible, si la voûte de la tour écroulée n'est pas également effondrée, ce qui se verra au déblaiement. La Porte de Bretagne n'a pas non plus énormément souffert, et les dégâts subis