Un édifice, comprenant un vaste logis de plan allongé, entre cour et jardin, est représenté à cet emplacement sur la cadastre de 1828 ; il ne figure pas sur le plan par masses de culture de 1806. L'état des sections indique qu'il appartient à Jean-Baptiste Moirez fils, marchand de bas. Les matrices cadastrales renseignent les principales évolutions au cours du 19e siècle. Jean-Baptiste Moirez fils fait construire une filature imposée en 1837 et agrandie en 1845. Il fait également reconstruire une nouvelle maison en 1846, agrandie et complétée d'une nouvelle demeure construite en 1866. La filature incendiée 1850 est reconstruite (imposée 1853). Le journal La Presse (16/05/1850) signale que l'usine détruire par l'incendie laisse 200 familles sans travail. Pour éclairer sa manufacture, Jean-Baptiste Moirez fait également construite une fabrique de gaz, au nord de la route, en 1866, date de sa demande (5M 81778). Une machine à vapeur installée en 1850 (M 96830), remplacée en 1872.
Né en 1803, Jean-Baptiste Moirez (fils) apparaît comme fabricant de bas (listes électorales de 1830 et 1831), puis comme filateur et fabricant (listes électorales de 1839 à 1846 et recensements 1846 et 1851). La propriété comprend une conciergerie et Jean-Baptiste Moirez loge 3 employés et 2 domestiques.
Sa production de flanelle de coton et de laine peignée est signalée dans l'almanach 1837 et sa filature à vapeur équipée de mull jenny, dans l'annuaire Didot-Bottin de 1857 et 1863, date à laquelle est également mentionné un dépôt à Troyes.
Une réclamation, en 1880, est faite au filateur Jean-Baptiste Moirez-Dubosq, qui apparaît dans la liste électorale de 1869. L'usine est signalée dans le recensement de 1881.
L'usine et l'ensemble des propriétés de Jean-Baptiste Moirez sont en vente en 1889. L'affiche de vente publiée dans le Progrès de la Somme donne une description des lieux à cette date : "Une Filature avec Maison d'habitation, sise à Villers-Bretonneux, sur la route de Péronne à Amiens, avec cour et jardin, édifiée sur environ 62 ares 33 centièmes de terrain [...] La dite filature ayant son entrée principale sur la route par une grille. A droite en entrant se trouve le bâtiment à usage de filature, composé d’un sous-sol, d’un rez-de-chaussée et trois étages, construit en briques et couvert en ardoises. Dans ce bâtiment se trouve une quantité de roues de transmission. A côté le bâtiment renfermant la machine à vapeur et différents accessoires, cheminée derrière, bâtiment à usage de séchoir et peignoir. A gauche en entrant loge de concierge, remise, écurie, sellerie, buanderie, salle de bains avec salie de billard au-dessus, lingerie. En retour d’équerre et faisant face à la grille, maison d’habitation construite en paillis et couverte en ardoises, divises en rez-de-chaussée, cuisine, arrière-cuisine, salle à manger, salon, vestibule, salle à manger et un autre salon, cave au-dessous ; premier étage avec trois chambres à coucher et cabinets de toilette ; grenier au-dessus. sus. A différents autres bâtiments, bureaux ; — pelouse entre la grille et la maison d’habitation, jardin derrière la maison". S'y ajoute un jardin potager et un jardin anglais avec serres chaude et froide.
La propriété est acquise par Emile puis Henri Outrequin, ainsi que l'ancienne demeure Moirez rue des Tavernes.
Les Outrequin sont une importante famille de négociants, actifs à Villers-Bretonnaux depuis le début du 19e siècle. Théophile Dieu-Outrequin apparaît dans l'annuaire Didot-Bottin de 1857 et 1863. En 1881, Emile Outrequin-Pinchon, négociant, habite l'ancienne demeure Moirez, rue des Tavernes (recensement) avec son fils Henri également négociant (recensement de 1906). En 1911, il est recensé rue d'Amiens, alors que son fils habite toujours la demeure de la rue des Tavernes. D'après Hareux (2007), la société Outrequin père et fils, commerce de laines et de denrées, créée en 1911, succède à la société Outrequin frères fondée en 1890, dont le siège social est situé rue de la Mairie, chez François Outrequin. La société fait faillite en 1922.
L'usine est connue par quelques cartes postales du début du 20e siècle ; ces représentations partielles en montrent cependant l'importance. Le bâtiment principal, implanté entre cour et jardin, compte quatre niveaux (cave, rez-de-chaussée surélevé, étage carré et étage de comble). Construit briques masquées par un enduit et couvert d'ardoises, il présente une élévation nord, sur cour, à 9 travées, avec une travée centrale d’accès soulignée à l’étage par un balcon. Un petit pavillon en rez-de-chaussée est accolé à l'ouest. On distingue également une cour pavée avec au centre une pelouse de plan circulaire, bassin et fontaine, massifs, arbre de tige. Au nord-ouest, se trouve un petit bâtiment en briques en rez-de-chaussée, dont les baies cintrées suggèrent une construction autour de 1835. A l'est de la cour, on distingue également un grand bâtiment double en profondeur à étage carré et comble à la Mansart, portant l'inscription "bureaux" sur le pignon. Il présente une élévation sud à 9 travées et un accès en pignon depuis la cour. Enfin, au nord-ouest de la parcelle, sur rue, un grand bâtiment à 3 étages carrés, comptant 11 travées sur les façades nord et sud et 3 travées sur les pignons, était vraisemblablement la filature. L'accès s'effectuait route d'Amiens, par un portail, entre la filature et deux bâtiments implantés perpendiculairement à la voie et présentant un pignon sur rue. Au nord dans la cour, on voit également un bâtiment en brique (début 20e).
Le plan d’ensemble et les coupes, réalisées pour l’évaluation des dommages de guerre, renseignent sur la destination et la distribution intérieure des différents bâtiments. La propriété, qui occupe une vaste parcelle traversante ouvrant au nord sur la rue d’Amiens et au sud sur la rue de la Voirie. Elle est organisée autour d’une vaste demeure entre cour et jardin. Les communs et les bâtiments de la filature sont implantés autour de la cour, à laquelle on accède depuis la rue d’Amiens. Les bâtiments de la filature se situent au sud (grand atelier, conciergerie et remises) et à l’ouest (bureaux) de la cour. Les communs (garage, écuries, chenil) et dépendances (basse-cour, poulailler, clapiers, fumier) de la demeure occupent l’est de la cour.
La distribution intérieure de la demeure est organisée à partir d’un vestibule central traversant dans lequel se trouve l’escalier. Les pièces sont distribuées par un dégagement (couloir) côté cour, à l’est les pièces de réception (grand salon et salle-à-manger), à l’ouest des espaces plus intimes (petit salon et salle-à-manger). Ce bâtiment principal est prolongé à l’ouest par un petit pavillon, disposant de deux accès indépendants) qui abrite la cuisine et ses dépendances (laverie, arrière-cuisine, buanderie). Enfin, à l’ouest de la cour, un bâtiment en rez-de-chaussée abrite une salle de billard.
Le bâtiment des bureaux, de plan allongé, est divisé au rez-de-chaussée par des cloisons légères. Il comprend, des espaces accessibles depuis la cour principale : une antichambre précède le bureau des contentieux et un dégagement donnant accès à la caisse, des bureaux et la comptabilité et au bureau du patron. Le bureau du patron, dispose d'une entrée située dans la petite cour et d'une salle d'attente. L'implantation du bâtiment (ancienne demeure entre cour et jardin) indique qu'il s'agit d'une propriété réunie à la filature.
Le grand atelier, éclairé au nord et au sud par neuf baies de 1,50 m. de large, ne présente aucune division intérieure au rez-de-chaussée. L'entrée est située sur le pignon est.
Lourdement endommagé durant la Première Guerre mondiale, l'usine en faillite n'est pas reconstruite.
Chercheur du service de l'Inventaire général du patrimoine culturel de Picardie, puis des Hauts-de-France, depuis 2002.