"Le monument de la famille LEDIEU s'élève majestueusement en forme de portique de temple sur l'emplacement, d'une vaste étendue, affecté à cette famille. Deux colonnes en pierre, d'ordre ionique, supportées par un stylobate et couronnées par des chapiteaux ornés de sculptures, forment l'avant corps de ce monument, sur la façade duquel est encadrée une table en marbre noir d'une grande dimension. Le chapiteau, assis sur l'entablement, est formé par deux consoles en volutes et surmonté d'une croix romaine autour de laquelle est sculpté un chapelet.
Ce monument, construit par M. Leroy-Digeon, sur les plans de M. Marest, architecte, sculptures de MM. Duthoit, est d'un style grandiose ; on le prendrait plutôt pour l'entrée d'un céleste palais, habité par une divinité, que pour l'asile mortuaire où iront se rejoindre un à un tous les membres d'une famille qui laissera de précieux souvenirs dans la cité.
Sur la table de marbre dont nous avons parlé on lit l'inscription suivante :
"Jean-Baptiste-Alexandre / LEDIEU, / Négociant, ancien membre du conseil de / l'arrondissement, / Conseiller municipal, / Vice-Président de la Société des antiquaires / de Picardie, / décédé à Amiens, le 11 août 1842, âgé de 68 ans."
M. LEDIEU succomba à une longue et douloureuse maladie. Sa mort priva les compagnies dont il était membre, d'un homme instruit et dévoué. Sa perte fut surtout sensible à la science à laquelle il a consacré, pendant toute sa vie, ses moments de loisir. Ses profondes études dans l'antiquité lui procurèrent les précieuses connaissances qu'il communiqua au public dans divers écrits, et il enrichit notre Bibliothèque et nos Musées d'un grand nombre d'objets très intéressants. On sait que c'est à lui que l'on doit le rétablissement, dans notre église cathédrale, des tableaux en marbre relatifs à une confrérie en partie religieuse, en partie littéraire. Il les fit rétablir à ses frais.
A gauche du monument, nous remarquons un tronçon de colonne en marbre blanc veiné d'Italie, colonne qu'on dirait brisée par le milieu. Est-ce un symbole de la destruction qu'on a voulu figurer ? Nous le pensons. Le soubassement est en marbre noir, et le socle en marbre blanc. Le travail en est fort beau ; cependant nous ne pensons pas qu'il eût été impossible à nos marbriers de faire aussi bien ; toujours est-il qu'elle provient des ateliers de M. Duriez, marbrier, demeurant à Paris, près du Père Lachaise.
Sur le fût de la colonne on lit l'inscription suivante en caractères dorés :
"Ici repose / Eugénie COSSERAT, / épouse / de M. Alfred PIMONT, de Rouen, / née le 2 avril / 1825, / décédé le 17 août / 1843. / Sa vie fut celle d'un ange."
Sur la face principale du socle est gravée cette dédicace :
"Souvenir d'un époux"
Nous aurions préféré un monument plus gracieux, plus délicat, pour rappeler le souvenir d'une jeune femme enlevée si inopinément à sa famille, à son époux, à la vie ! [...] Ne s'attend-on pas plutôt à lire autour de cette colonne brisée, au lieu d'un nom de jeune femme, celui d'un vieux militaire, respecté par le plomb et le fer sur vingt champs de bataille, mais brisé, comme ce monument, par l'action destructive du temps, qui ne respecte ni la pierre, ni le marbre, ni les hommes ! [...]
On nous a assuré que la famille n'en avait pas eu le choix, que cette jeune dame ayant vu une semblable colonne au Père Lachaise, manifesta le désir d'en faire placer une pareille sur son tombeau. Hélas ! En le lui promettant, son époux ne pensait pas devoir si tôt accomplir ce vœu.
A l'extrême gauche de cette sépulture, on peut lire, sur une colonne en pierre d'une grande simplicité, les noms de M. et Mme COSSERAT, anciens négociants de cette ville, décédés, le premier, le 12 mai 1832, à l'âge de 64 ans ; la seconde, le 17 décembre 1810, âgé de 33 ans.
Cette sépulture est environnée d'une fort belle grille en fer."
Stéphane C[omte], 1847, p. 165-169.
Chercheur du service de l'Inventaire général du patrimoine culturel de Picardie, puis des Hauts-de-France, depuis 2002.