La ferme de l’abbaye Saint-Lucien de Beauvais
D’après la monographie de la ferme réalisée en 1900 par René Martin, ancien propriétaire, les moines de l’abbaye de Saint-Lucien de Beauvais entrent en possession d’une partie des terres de Thieux au milieu du 13e siècle à la suite du legs de Jean de Thieux. Même s’il n’en reste pas de trace aujourd’hui, une ferme avec ses bâtiments d’exploitation existait peut-être déjà. René Martin cite un bail de 1570 concédé à un fermier de l’abbaye. Le domaine consiste alors en « une maison, lieu et pourprys dedans lequel pourprys est l’église paroissiale de Thieux, avec le domaine et droits en dépendant ». Le pourpris désigne l’enceinte renvoyant aux limites de la ferme dans laquelle se trouve l’église même.
Un plan terrier de l’abbaye de Saint-Lucien établi en 1686 (AD Oise ; H 1264) offre une représentation schématique de la ferme au 17e siècle. Close de murs et ouverte sur l’extérieur grâce à un porche en pierre, elle comprend quatre bâtiments qu’il est possible d’identifier comme le logis du fermier, la grange, une écurie et une étable. Cette représentation pourrait correspondre à la première cour de la ferme actuelle.
La ferme à la limite des 18e et 19e siècles
En l’absence du cadastre du début du 19e siècle, il n’a pas été possible de comparer les dispositions ancienne et actuelle des bâtiments. Toutefois, d’après les témoignages des propriétaires et l’analyse architecturale, le logis aligné sur la rue des Hayes (côté ouest de la parcelle) pourrait remonter au 18e siècle (avec reprises postérieures). Le bâtiment en retour côté sud de la parcelle qui abritait les logements des bonnes, le bûcher et l’écurie pour les poulains (R. Martin, 1900) n’est pas postérieur au 2e quart du 19e siècle, bien que la brique ait en partie remplacé le torchis entre les pans de bois.
Enfin, d’après la monographie de René Martin qui précise les fonctions de chaque bâtiment vers 1900 (voir en ill.), la cour était fermée du côté oriental par un groupe de bâtiments comprenant une grange, un puits et enfin, la zone de stockage des pailles. Cet ensemble était relié à celui des veaux juste au nord par une arche en pierre qui fermait l’angle nord-est de la ferme. D’après les propriétaires actuels, il comprenait également un pigeonnier. Enfin, le « hangar » où étaient également soignés les « moutons malades » à l’est des bergeries est toujours en place. Comme les bâtiments cités ci-dessus, il est antérieur au milieu du 19e siècle.
Des fermiers rachètent le domaine : les constructions du 3e quart du 19e siècle
Toutefois, la plupart des bâtiments visibles aujourd’hui sont postérieurs au milieu du 19e siècle. Il semble qu'ils soient issus d'une même campagne de constructions à l’initiative des époux Dhardiviller-Labitte, les anciens fermiers qui ont racheté en 1855 le domaine qu’ils exploitaient. Le pavillon en brique où logeait le régisseur de la ferme porte d’ailleurs la date de 1855. Les étables et les écuries qui bordent respectivement les côtés nord et sud de la cour sont édifiées à cette époque. Les fers d’ancrage de l’ancienne étable portent la date de 1867. C’est également à cette époque que la maison du propriétaire est construite sur une parcelle au nord de la ferme, de l’autre côté de la rue Notre-Dame. Elle était reliée par le téléphone au logement du régisseur (René Martin, 1900).
Le plan de René Martin établi en 1900 indique également qu’à l’est de cette première cour se trouvent les bergeries, implantées en équerre autour d’une mare. Au bout de celles-ci côté sud, les porcheries sont décrites dans la monographie comme une construction à la pointe du progrès agricole dans le dernier quart du 19e siècle : à l’intérieur, les cases des porcs sont distribuées de part et d’autre d’un couloir central assurant une évacuation saine du fumier. Les auges sont en partie à l’intérieur des cases et en partie dans le couloir. Surtout, la cuisine où la nourriture des porcs était préparée bénéficie d’une évacuation par le toit, matérialisée par une surélévation de la toiture.
René Martin évoque également le rôle du moteur à pétrole installé près de la grange et du puits qui actionnait, outre la citerne de ce dernier, la batteuse et diverses machines agricoles.
L'ancien fermier vante enfin la modernité du vaste hangar ou gerbier construit juste au nord de l’église, certainement dans le dernier quart du 19e siècle. Il évite aux ouvriers de former des meules car les gerbes sont directement stockées. De lourds cadenas fixés aux portes permettent de protéger les récoltes des vols. En face du gerbier, le long du chemin se trouvaient les logements des « ouvriers belges » et, dans son prolongement, le pressoir à cidre. La ferme était en effet dotée d’un vaste potager (à l’est du gerbier) et d’un verger (à l’est des bergeries).
Évolutions de la ferme au 20e et au début du 21e siècle
Depuis le plan dressé par René Martin en 1900, la ferme a connu plusieurs évolutions : certains bâtiments ont changé de fonction, d’autres ont été reconstruits, certains ont disparu ou de nouveaux ont été édifiés. La bouverie qui abritait les bœufs est par exemple transformée en fournil dans la première moitié du 20e siècle. Le pressoir disparait entre 1937 et 1963 (dates des cadastres disponibles pour le 20e siècle).
L’exploitation a peu à peu abandonné l’élevage au profit des cultures et les étables, écuries et bergeries ont perdu leurs fonctions initiales. Le tas de fumier qui était situé dans la cour principale a disparu. La longère qui abritait le logement des bonnes, le bûcher et les poulains est reconvertie en bureau. Au début des années 1960, l’ensemble de bâtiments à l’est de la cour principale (grange, pailles, moteur à pétrole, puits, machines, pigeonnier) est démoli et est remplacé par un hangar de stockage et une remise agricole (comparaison des cadastres de 1937 et 1963 et témoignage oral). La tempête de 1999 a détruit les anciennes bergeries.
Un vaste hangar de stockage couvert de panneaux solaires a récemment été construit. L'exploitant actuel s'est orienté vers une activité brassicole (production de malt et de bière). Les anciennes écuries sont reconverties en cave et lieu de vente.
Photographe au service de l'Inventaire du patrimoine culturel de la région Hauts-de-France (2023).