De l'Antiquité à Vauban : la découverte des sources
Les sources d’eau semblent avoir été découvertes et utilisées pendant l’Antiquité. Leur captation en vue du développement d'une activité thermale ne se met pas en oeuvre avant la fin du 17e siècle.
Les travaux historiques du docteur Charpentier publiés en 1863 éclairent un pan de l’histoire du développement du thermalisme pour lequel il n’y a pas de sources consultables aujourd’hui. Il mentionne le passage et la guérison de l’archiduc Léopold dans les eaux de la Fontaine Bouillon, vers 1640, évènements qui auraient poussé les religieux de l'abbaye de Saint-Amand à établir les premières constructions pour exploiter cette source.
L’étude, en 1682, par le médecin Heroguelle des vertus d’une autre source, qu'il nomme Grand-Bouillon, contribue à sa captation en 1697-1698, réalisée à la demande de Louis XIV, sous les ordres de Vauban. D’importantes découvertes archéologiques sont faites à cette occasion ; une réserve sacrée contenant de nombreuses statues (ex-votos ?), dont 200 en bois, des tuiles et un(e) (statue de) Mercure en bronze. Les témoignages de cette découverte sont présentés dans les "Statistiques du Département" au début du 19e siècle.
Des premières constructions à l'abandon à la Révolution
La captation de la source Fontaine Bouillon à la fin du XVIIe siècle est suivie de son couvrement sous Louis XIV et le commandement du Maréchal de Boufflers en 1698 (fig. 1) par la Compagnie des Mineurs de Mesgrigny, en garnison à Tournai et la création d'un hôpital militaire (fig. 2). est envisagé pour la guérison troupes, soignées jusqu'alors à Bagnères (de Luchon), Bourbonne et Digne(-les-Bains). Un bail emphytéotique est passé avec des entrepreneurs privés, les Sieurs Bar et Degand, pour l'établissement de bains pour les particuliers.
En 1731, le médecin Brassart vante la qualité de l'eau et la chaleur des boues. Il constate également les mauvaises conditions d'hébergement ; l'exiguïté des 4 bains existants et l'existence d'un logement ressemblant à "une grange couverte de paille, telle les maisons paysannes". Il déplore par ailleurs les désordres que peuvent créer le logement des soldats chez l'habitant.
En 1750, l'hôpital militaire, achevé depuis 1739, peut accueillir 200 malades et comprend 20 (?) chambres, une chapelle et un corps de garde. La saison des soins court du 15 juin au 15 septembre et le séjour du malade est de 23 jours renouvelable une fois.
Les conditions techniques de dispense des soins, des règlements pour les auberges accueillants les malades militaires ou civils et sur l'exploitation de l'eau à boire sont établies au fur et à mesure. L'hôpital est administré par un directeur, assisté d'un médecin, un chirurgien, 2 garçons chirurgiens, 1 apothicaire, 1 aumônier et des infirmiers.
La mauvaise gestion des bains privés par le sieur Bar le mettent en conflit avec les religieux de Saint-Amand qui reprennent la possession et la jouissance d'un terrain et des bâtiments qu'on appelle Bouillon Fontaine ou vulgairement Eaux et Boues. Ils font la requête auprès du cardinal de York d'un montant de 55 000 livres sur les 200 000 livres d’emprunt destinés à la réparation des bâtiments. Cette correspondance nous apprend également que les religieux font appel au célèbre architecte lillois Gombert pour le dressement du plan d’un nouveau bâtiment dont le coût reviendrait à 150 000 livres. Les plans sont datés de 1765 à 1780 plan (fig. 3).
L'architecte détaille les différentes phases de travaux : l'agrandissement prévu (les bâtiments en rouge et 6 chambres dans le prolongement des bains), les bâtiments (écuries, maison et grange (W)) à établir (en jaune) et les bâtiments rénovés ou agrandis en 1765-1766 (les bains (aile en noir).
Le bâtiment (en noir) appelé bâtiment des boues, vitré, en forme de "serre hollandaise" placé de biais est construit en 1765, le bâtiment des eaux à proximité (en jaune) est établi en 1767.
Vers 1780, l’intendant du Hainaut fait établir un hôpital pour les pauvres (fig. 4 et 5), adossé à l’hôpital militaire, ce qui semble correspondre à l'extension (en rouge) prévue par Gombert. En 1784, le bail des bains et douches de boues de la fontaine Bouillon est accordé à une personne privée, le Sieur Nicolas Lemaire de Loribant.
L'abandon pendant la période révolutionnaire et après - pendant 26 ans - met l'édifice en péril ; la cession à la commune de Saint-Amand et des tentatives de travaux sont vaines.
L’amorce d’un renouveau des thermes : les premiers grands projets de restauration
Les architectes départementaux Vallez puis Deleau visitent l'établissement thermal en 1816 et 1819 en vue d'établir un projet complet de restauration. Deleau (également dessinateur et secrétaire au Corps Royal d'Artillerie de Valenciennes) a la charge de dresser un plan général indiquant en détail la distribution ; on découvre sur ce plan daté de 1818 la disposition détaillée de la ferme, de l'hôpital militaire et de l'hôpital des indigens, les bains et l'existence d'une brasserie (fig. 6).
La mise à disposition de l'établissement thermal au département et sa (première) restauration
La cession de l'Etat au Département par l’Ordonnance du 6 juin 1821, suivi de la destruction du bâtiment militaire des boues au Département permet la réflexion sur un véritable projet de restauration. Le projet proposé par l'ingénieur en chef, directeur des Ponts et Chaussés du département du Nord G. (?) Cordier (?) en 1826 d’après les plans de Deleau de 1818, consiste en une consolidation des différents bâtiments : réparation des chambres, restauration de la salle de bal (située sous la fontaine), reconstruction à l'identique de la salle des boues - avec néanmoins une capacité réduite, 40 cases au lieu des 60 (qui accueillait les militaires et les civils, séparés par une simple cloison) en forme de serre hollandaise vitrée, exposé au midi, bâtie sur pilotis (fig. 7).
Une lettre de l'administration générale du commerce et de l'agriculture au préfet informe de l'ajournement de la restauration faute de budget. Il est proposé de concéder les thermes à un entrepreneur pour une période de 22 ans. Le projet de restauration est soumis au concours ouvert aux architectes du département. Les archives conservent le projet - sans plans - de l'architecte de la ville de Cambrai, A. Debaralle, qui propose un véritable projet de jardin avec petits pavillons, statues et plantations (bosquets, avenues plantées, salles de verdure, étang ou pièce d'eau, parterres de fleurs, jardin potager, ponts..) pour "impressionner favorablement le malade qui vient prendre les eaux". Il propose pour le bâtiment des boues une serre circulaire, sur pilotis, exposée au soleil toute la journée, couverte d'une serre en fer, décorée de colonnes creuses en fonte avec âme.
Les projets de l'architecte départemental Malet
L'architecte départemental Malet propose l'idée d'une véritable restauration impliquant des reconstructions et un aménagement des abords, afin de redonner "l'antique splendeur".
Dans son premier projet daté de mai 1829, l'architecte Malet souhaite rendre plus harmonieux l'implantation du bâtiment des boues ; il propose de le reconstruire légèrement plus au nord, afin de l'inscrire dans un ensemble composé de portiques disposés de part et d'autre du bâtiment des boues et formant un arc en plein cintre (fig. 8) qui relie l'ensemble des bâtiments de l'établissement. Les terrains marécageux avoisinants empêchent la mise en oeuvre de cette proposition.
Son second projet daté d'août 1829 conserve la disposition initiale du bâtiment de plan rectangulaire « unique » - rappelant les bains antiques - des boues et des bains et reprend l’idée des portiques proposé dans le premier projet.
L'architecte propose une légère variante pour le plan et les façades de ce projet (fig. 12 -13).
La loi du 3 décembre 1835 cède gratuitement l'ensemble de l'établissement thermal au département du Nord - qui a en charge l'exécution des travaux de restauration - et autorise le préfet à livrer aux enchères à tout particulier ou compagnie qui s'engagerait à se conformer au cahier des charges de la restauration. Les plans et devis (fig. 16 à 21) dressés le 5 septembre 1834 - et approuvés le 27 février 1835 par le ministère du commerce - par l'architecte Malet, architecte du département lauréat du concours avec sa nouvelle proposition de plan qui reprend le projet de rotonde (de l’architecte Debaralle ?) pour le bâtiment des boues servent de cahier des charges à la compagnie ou le concessionnaire, qui s'engage à effectuer les travaux de restauration en 18 mois. La restauration est mise en oeuvre vers 1838 et bénéficie d'une subvention de 75 000 F alloués par le Département et l'Etat.
Les projets d'embellissement de la fin du 19e siècle.
L'idée d'aménagement d'un jardin ou d'un parc est intrinsèque à toute station thermale ; à Saint-Amand, l'idée est présente chez les tous architectes qui proposent des projets pour l'établissement. Vers 1880, l'architecte paysagiste lillois Aramburn (?), propose un projet (non retenu) d'agrandissement du jardin (fig. 22) à l'est de la rotonde des boues.
En 1884, l'architecte lillois Théophile Albert Hannotin a en charge les travaux de rénovation (cf. plans, fig. 23 à 25) proposés par le concessionnaire Adrien Grégoire. Le devis, approuvé par Charles Marteau, architecte du département, propose l'installation de 35 nouvelles chambres, impliquant l'augmentation du nombre de "cases" dans la rotonde des boues, passant de 68 à 117, la construction d'une piscine, d'une galerie couverte, d'une salle des fêtes avec billard et gymnase, d'une nouvelle entrée, de la maison du concierge. Les travaux secondaires consistent en la réfection de façade, l'ajout d'une marquise devant l'entrée, la modification du bâtiment des machines et l'agrandissement de la rotonde des boues. Le rapport de 1888 fait état des travaux réalisés : la rotonde a pu être agrandie, des baignoires ont pu être ajoutées et refaites, deux salles d'hydrothérapie construites, le parc agrandi. La piscine et la salle des fêtes n'ont pas été construites.
Les projets de la fin du 19e siècle, le projet de Louis Cordonnier.
Les archives communales conservent un recueil de dessins représentant un projet (non réalisé) d'agrandissement de l'établissement thermal. Ce projet (fig. 26-27) non signé propose une extension de l'établissement vers l'ouest, et comprend le projet d'un grand hôtel (fig. 28-29), s'ouvrant sur la route de Saint-Amand aux thermes, le casino (fig. 30) plus au nord, sur la route de Frêne (sic) [Fresnes], accessible depuis l'établissement thermal par une grande allée, et une piscine (fig. 31-32), au sein d'un parc, non loin de la rotonde des boues. Ce recueil comprend un autre plan unique (fig. 33) qui ne semble pas faire partie de la première série. Il s'agit d'un autre projet signé de l'architecte régionaliste Louis (?) Cordonnier et annoté de la date de 1897. Il fait table rase de l'existant et propose un établissement thermal entouré de 3 "grands" hôtels, faisant face à un ensemble appelé "établissement de divertissement" avec casino et café, entouré de villas et d'une chapelle, disposés de l'autre côté de l'actuelle rue bordant l'établissement thermal.
Ce projet monumental démesuré, tant par rapport à l’espace disponible que par le nombre et la taille de chacun des établissements envisagés, n'a pas été retenu. Seul un café-casino (fig. 48) a été aménagé en lieu et place des anciens communs au début du 20e siècle.
La reconstruction après l'incendie de 1907 et après la Première Guerre mondiale.
L'incendie de 1907 touche la grande aile du grand hôtel abritant les chambres et en précipite la reconstruction. L'architecte lillois Léonce Hainez (fig. 35-36) propose de créer une nouvelle installation inspirée des thermes de Salahin (Biskra, Algérie), composée d'un bâtiment à couloir longitudinal donnant accès à une série de "piscines individuelles" ; chaque piscine se composant d'une salle de déshabillage et d'une piscine. Cette disposition nécessitant l'abondance d'eau, il s'appuie sur l'analyse des eaux par les médecins et un échange entre le docteur Thiroux et le géologue Jules Gosselet à propos d'une possibilité de forage en vue de trouver des sources (plus) chaudes. On y apprend l'existence de 5 sources : les trois plus anciennes : Fontaine Bouillon, Fontaine du pavillon ruiné, Fontaine Vieille Chapelle, qui sont peu utilisées en ce début de 20e siècle et les 2 dernières que sont la Fontaine Evêque d'Arras (au débit peu abondant et à la captation rudimentaire) et la source Vauban, la plus abondante et la plus récente. Ni ce projet ambitieux de Léonce Hainez ni celui qui est envisagé dans les années 1920 utilisant les deux dernières sources découvertes ne sont mis en oeuvre.
La reconstruction après la Première Guerre mondiale est réalisée d'après le projet de l'architecte DPLG du département Joseph Foyer dès 1919 en vue de l'ouverture de l'établissement en 1920. Les travaux sont repris par l'architecte en chef du département Boidin (1859 - 1924), après le départ de Foyer. C'est le projet de casino de style néo-classique (fig. 38, 39) à proposé par l'architecte d'Etat (établi à Paris et à Chauny) Camille Martin qui est adopté et non celui plus sobre de Joseph Foyer (fig. 40, 41).
L'usine d'embouteillage de l'eau de source a vraisemblablement été construite à cette même période.
Après la Seconde Guerre mondiale, à partir de 1947, le casino (fig. 79-80) est restauré par la Compagnie Fermière des Boues et l'établissement puis réouvert au public en 1956. Le vitrail est réalisé par les maîtres-verriers lillois Duthoit et Roland, d'après un carton du peintre lillois Robert-Charles Beat.
En 2012, la vente de l'établissement thermal par le Département à l'exploitant "la Chaine Thermale du Soleil" aboutit à un projet de rénovation de l'hôtel et la transformation du casino en spa par l'architecte-paysagiste Guillaume Pellerin, qui devrait permettre l'augmentation de la fréquentation.
Chercheur de l'Inventaire général du patrimoine culturel.