Historienne, Martine Plouvier a été conservateur régional de l'Inventaire général de Picardie, conservateur en chef aux Archives nationales et directrice du Centre d'études et de recherches prémontrées.
- mobilier et objets religieux, la cathédrale de Soissons
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Lefébure ThierryLefébure Thierry
Photographe du service de l'Inventaire général du patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.
- (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
Dossier non géolocalisé
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Aire d'étude et canton
Grand Soissons Agglomération - Soissons-Sud
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Commune
Soissons
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Adresse
Cathédrale Saint-Gervais-Saint-Protais
,
place Cardinal-Binet
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Dénominationstenture murale
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Titres
- Scènes de la vie de saint Gervais et saint Protais
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Dossier dont ce dossier est partie constituante
Les auteurs d'Ancien Régime mentionnent à plusieurs reprises le don de tapisseries ou de tentures destinées à orner le chœur ou le sanctuaire de la cathédrale. Ainsi, Claude Dormay signale qu'en 1302, André de Grève, trésorier du chapitre, avait offert "douze tentures de tapisserie de soye, pour mettre au tour du chœur". Sans doute, à cette date, ne s'agit-il pas encore d'une tapisserie au sens actuel du terme, mais plutôt de parements de soie brodés. Qu'il soit décoratif ou figuré, le sujet précis de cette tenture n'est pas connu. Et l'on ignore également tout de la destinée de cet ensemble. À la lecture des malheurs du Soissonnais dans la première moitié du 15e siècle, on peut craindre que ce somptueux décor ait disparu lors de la prise de la ville en 1414, ou pendant les guerres civiles qui ont continué à ravager cette région au cours des années suivantes.
Il faut attendre l'arrivée de l'évêque Jean Millet pour que l'ameublement et le décor de la cathédrale, et plus largement la vie religieuse dans le diocèse, retrouvent tout leur lustre. D'après les auteurs mentionnés, l'évêque Jean Millet (13 janvier 1443-1er avril 1503) fut un prélat fortuné qui fit un généreux emploi de ses richesses, particulièrement en faveur de sa cathédrale. Tout ces auteurs lui attribuent, entre autres libéralités, le don d'une tenture de chœur, relatant l'histoire de la vie et du martyre de saint Gervais et saint Protais. Le chanoine Pierre-Antoine Cabaret ajoute qu'il s'agit du dernier don effectué de son vivant, la tapisserie ayant été achevée en 1502, comme le précisait une inscription placée au bas de la représentation de l'évêque, qui figurait sur la pièce surmontant le trône épiscopal. D'après l'Épitaphier de Picardie, Jean Millet y était représenté à genoux, en chape rouge, et ses armes figuraient sur son prie-Dieu. En-dessous, se trouvait l'inscription suivante : "Lan de grace 1503 Mgr Jehan I. de ce nom Evesque de .... en lan de son eage 87 et de son pontificat 61. a fait faire cete tapisserie de St Gervais et St Protez. Pries Dieu pour luy". Ses armes se lisaient : tranché d'argent et d'azur, à l'étoile de huit rais brochante, d'azur sur l'argent et de gueules sur l'azur. Cet élément de la tenture étant perdu, et la majeure partie des archives du chapitre ayant disparu, rien ne permet actuellement de vérifier la date tissée sur la tapisserie, ni de savoir si elle correspond à la commande de la tenture ou à l'achèvement du tissage, sachant qu'il fallait plusieurs années pour réaliser une telle œuvre de bout en bout. Quoi qu'il en soit, l'année 1503 (nouveau style) correspond bien à la 61e année du pontificat de Jean Millet, et c'est donc cette date qui est ici retenue pour dater la tenture.
En septembre 1567, les protestants s'emparent de la ville. Le chapitre avait dissimulé ses trésors dans un caveau situé en-dessous de la salle capitulaire. Mais les protestants molestent plusieurs chanoines et les obligent à révéler l'emplacement de la cachette. Dom Lépaulart rapporte que, vers la mi-novembre 1567, une quinzaine de jours sont nécessaires aux calvinistes pour vendre les ornements et les tapis de la cathédrale. Aucun catholique n'est alors autorisé à enchérir et à en acquérir. Mais un bourgeois de Soissons réussit à acheter la tenture à bas prix et la restitue à la cathédrale, une fois la paix revenue.
Une nouvelle tenture est acquise vers le milieu du 17e siècle. La tenture offerte par Jean Millet reste néanmoins utilisée jusqu'au milieu du 18e siècle, époque à laquelle elle sert a dissimuler le dorsal des stalles, qui ne correspond plus au goût artistique de l'époque et est fort décrié par le chanoine Cabaret. Il n'est plus fait mention de son usage après le renouvellement du décor du chœur (1767-1775).
Selon l'étude de Delorme, ces tapisseries disparaissent pendant la tourmente révolutionnaire, puis un élément réapparaît en 1845. Il est conservé dans la grande sacristie vers le milieu du 19e siècle. En 1876, le conseil de fabrique demande que cette pièce de tapisserie soit installée dans la dernière travée du collatéral nord de la nef, emplacement qu'elle occupe jusqu'à la Première Guerre mondiale. L'œuvre est retirée le 14 février 1915, par décision d'Albert Dalimier, sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts. Elle rejoint la cathédrale vers 1928, puis est réinstallée dans le collatéral nord de la nef au moment de la remise au clergé de la nef restaurée en avril 1931.
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Période(s)
- Principale : limite 15e siècle 16e siècle
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Dates
- 1503, daté par source
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Auteur(s)
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Personnalité :
Millet (ou Milet) Jeancommanditaire, donateur attribution par sourceMillet (ou Milet) Jean
Evêque de Soissons, du 13 janvier 1443 à sa mort le 1er avril 1503. Son nom s'écrit, selon les auteurs : Millet ou Milet.
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Personnalité :
La pièce murale est de forme rectangulaire horizontale. Elle est réalisée à l'aide d'une chaîne de laine et probablement d'une trame de soie.
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Catégoriestapisserie sur métier
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Structures
- rectangulaire horizontal
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Matériaux
- laine, chaîne
- soie, trame (incertitude), tissé
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Précision dimensions
H = 150 (mesure approximative) ; la = 247 (mesure à l'ouverture du cadre).
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Précision représentations
La succession des scènes se lit de gauche à droite.
À gauche, la première scène montre les deux frères jumeaux, Gervais et Protais, qui, après le décès de leurs parents, ont vendu tous leurs biens et en distribuent l'argent aux pauvres. Les deux saints, debout et de trois-quarts, sont vêtus de longues tuniques blanches, et portent un nimbe circulaire. Saint Gervais a placé l'argent dans un repli de sa tunique, et saint Protais y puise pour distribuer les pièces à un groupe de pauvres et d'infirmes assemblés devant eux. Ce groupe se compose principalement d'hommes, mais on y voit aussi une femme et un enfant. L'un de ces hommes, agenouillé devant les saints, a la jambe bandée, tandis qu'un autre, debout, a le bras en écharpe. Tous tendent la main vers les deux frères. Bien que le sol soit parsemé de fleurs, ce passage de la légende se déroule dans une rue ou sur une place d'une ville dont deux bâtiments constituent l'arrière-plan de la scène.
Un arbre couvert de fruits et de fleurs sépare cet épisode du suivant. Dans un paysage vallonné, un homme et une jeune femme sont agenouillés, mains jointes, devant les deux saints, représentés debout et de trois-quarts. L'un des frères bénit les personnes agenouillées, tandis que l'autre lève la main et s'apprête à en faire autant. Dans le fond, une route est parcourue par plusieurs personnages. Il s'agit là d'une des étapes du baptême d'un homme et de sa fille, après que les deux frères aient chassé le démon du corps de la jeune fille.
La scène de droite montre saint Gervais et saint Protais en train d'aider saint Nazaire et saint Celse à construire un oratoire à Embrun. L'épisode se déroule dans une clairière. Le cartonnier de la tapisserie a donné à saint Nazaire l'apparence d'un homme d'âge mûr, à la longue barbe, vêtu d'une tunique et d'un manteau. Il édifie un mur en pierre de taille, et tient à la main droite une truelle, avec laquelle il s'apprête à prendre du mortier dans un bac en forme d'auge. Le geste de sa main gauche et son regard qui s'est détourné du mur se rapportent à la partie disparue de l'épisode. L'élément subsistant d'un personnage, et une comparaison avec la tenture de la cathédrale du Mans permettent d'y voir l'un des deux jumeaux apportant un bac de mortier et peut-être sur le point d'être appréhendé par un soldat.
Près de saint Nazaire, un jeune homme vêtu d'une longue tunique bleue, apporte des pierres soigneusement dressées. Il s'agit de "l'enfant" Celse qui, ici, adopte l'apparence d'un adolescent, voire d'un jeune homme. Devant eux, l'un des jumeaux qui pelletait des cailloux est agrippé par un soldat. Ce dernier, vêtu d'un riche pourpoint, d'un camail et d'un "chapel de fer", est armé d'une lance. À l'arrière-plan, trois cavaliers traversent les bois : il s'agit des délégués envoyés par l'empereur Néron pour se saisir des saints et les conduire devant lui.
Les trois scènes conservées de cette tenture de chœur ne représentent qu'une petite partie de l'ensemble, dont la description complète ne nous est pas parvenue. Grâce à Claude Dormay, on sait qu'y figurait également (sans doute à la fin de la tenture) la guérison miraculeuse d'un aveugle de naissance, miracle que certains pensaient être survenu dans la cathédrale de Soissons devant les reliques des martyrs, mais que Claude Dormay rapporte à la première translation du corps des deux frères effectuée par saint Ambroise à Milan. On pouvait aussi voir sur la tapisserie la représentation du donateur, l'évêque Jean Millet, agenouillé devant un prie-Dieu à ses armes. Ce portrait figurant au dessus du trône épiscopal, situé habituellement au sud-est du chœur des chanoines, on peut en déduire que le donateur avait été placé au début de la tenture. Il était suivi par les scènes de la vie et de la passion des saints patrons de la cathédrale, qui se succédaient au-dessus des stalles sud, peut-être au-dessus du jubé, puis au-dessus des stalles nord et s'achevaient à l'extrémité nord-est du chœur des chanoines, près du maître-autel, sans doute par la représentation d'un miracle ou d'une procession des reliques.
On peut imaginer approximativement l'ensemble à l'aide de la tenture presque complète de la cathédrale Saint-Julien du Mans, tissée vers 1509 (donc très peu de temps après celle de Soissons), et qui raconte la vie des mêmes saints. L'identité du texte des cartouches et de l'attitude de certains personnages suscite plusieurs réflexions. Soit la tenture de Soissons a servi de point de départ pour la réalisation de celle du Mans, mais réinterprétée et développée, soit les deux ensembles font référence à une source d'inspiration commune, tant écrite que figurée. Il peut s'agir du texte et de l'illustration d'une "Vita" ou d'une "Passio" des deux frères martyrs, ou bien du texte d'un Mystère. Quoi qu'il en soit, Jacques de Voragine ne peut constituer l'unique référence littéraire, dans la mesure où certains noms tissés dans les intitulés des scènes ne sont pas cités dans "La légende dorée".
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Inscriptions & marques
- inscription concernant l'iconographie, tissé, sur l'oeuvre
- inscription concernant le donateur, peint, sur partie rapportée
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Précision inscriptions
La pièce murale conservée comporte la légende des scènes (tissée dans des cartouches) et le nom des principaux personnages.
Scène gauche : Com[m]ent saint gervais et saint protais apres le trespas de leur pere / et mere vendirent tous leurs biens et en rechurent les deniers / lesquelz il donerent aux povres puis se revestirent de robes blanche.
Les noms : S. Gervais, S. Prothais sont tissés au-dessus de la tête des deux frères.
Scène centrale :
Comment saint gervais et / saint prothais getterent le / dyable hors du corps d une / ieune fille laquelle / tantost aprest fut p[ar] eust / baptisee avec son pere.
Les noms : S. gervais, S prothais sont là-aussi tissés au-dessus de la tête des deux frères.
Scène droite :
Comment saint nazare acompaigne de saint gervais et saint prothais / edifierent une cappelle es bois et l enfant celse leur amenistroit les / pierres et lors neron de ce averty par cornille envoya dento et paulin / pour les prendre.
Des éléments du précédent cadre de la tapisserie sont conservés dans un dépôt à la cathédrale. On peut lire sur la moulure inférieure l'inscription suivante, peinte en noir sur un fond doré : FRAGMENT DE LA TAPISSERIE DONNÉE A LA CATHÉDRALE, PAR JEAN MILLET, ÉVÊQUE DE SOISSONS, QUI OCCUPA CE SIÈGE DE 1443 A 1502.
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État de conservation
- élément
- oeuvre restaurée
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Précision état de conservation
Cette pièce de tapisserie est le seul élément subsistant de la tenture. L'objet a été restauré dans le premier quart du 21e siècle et n'est pas encore remis en place.
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Statut de la propriétépropriété de l'Etat
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Intérêt de l'œuvreÀ signaler
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Protectionsclassé au titre objet, 1901/06/17
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Référence MH
- (c) Ministère de la culture - Inventaire général
- (c) Département de l'Aisne
- (c) AGIR-Pic
- (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
Documents d'archives
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AD Aisne. Sous-série 4 J : 4 J 2 (copie des "Mémoires pour servir à l'histoire de Soissons et du Soissonnais" d'Antoine-Pierre Cabaret, seconde partie).
p. 182, 308-309, 317. -
A Évêché Soissons. Série P (paroisses) : P Soissons-Cathédrale, 1 E 6. Délibérations de la Fabrique (1846-1876).
Séance du 9 octobre 1876.
Bibliographie
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BRUNET, Émile. La restauration de la cathédrale de Soissons. Bulletin monumental, 87e volume, 1928.
p. 90. -
DELORME. Notes sur le mobilier artistique de la cathédrale de Soissons. Bulletin de la Société archéologique, historique et scientifique de Soissons, 3e série, t. 12, 1903-1904, 8e séance, lundi 1er août 1904, p. 265-292.
p. 271. -
DORMAY, chanoine Claude. Histoire de la ville de Soissons, et de ses rois, ducs, comtes et gouverneurs. Avec une suitte des Evesques, & un Abbregé de leurs actions : diverses remarques sur le clergé, & particulierement sur l'Eglise Cathedrale ; et plusieurs recherches sur les vicomtez & les Maisons Illustres du Soissonnois. Soissons : Nicolas Asseline, 1663-1664, 2 vol.
t. 2, p. 195-196, 353, 414, 486. -
[Exposition. Toulouse, Ensemble conventuel des Jacobins. 2004]. Saints de chœurs. Tapisseries du Moyen Âge et de la Renaissance : exposition présentée à Toulouse, Ensemble conventuel des Jacobins, 24 avril-31 août 2004, à Aix-en-Provence, Musée des Tapisseries, septembre-décembre 2004, à Caen, Musée de Normandie, janvier-mai 2005. Réd. Catherine Arminjon, Olivier Renaudeau, Laura Weigert, et al. Milan : 5 continents ; Paris : diff. Seuil, 2004.
p. 84-95 -
FRUCTUOSO, Marc. Tapisserie de L'Histoire de saint Gervais et de saint Protais. L'Estampille / L'Objet d'Art, n° 342, décembre 1999, p. 83-84, fiche n° 342 A.
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LÉPAULART, Dom Nicolas. Journal de D. Lépaulart, religieux du monastère de St Crépin-le-Grand de Soissons, prieur de Ste Geneviève, curé de Cœuvres, sur la prise de cette ville par les Huguenots en 1567. Édité aux frais et par les soins de la Société historique, archéologique et scientifique de Soissons. Laon : Imprimerie d'Ed. Fleury, 1862.
p. 45. -
PÉCHENARD, Monseigneur Pierre-Louis. La grande guerre. Le Martyre de Soissons (Août 1914-Juillet 1918). Paris : Gabriel Beauchesne, 1918.
p. 190-191. -
POQUET, abbé Alexandre, DARAS, abbé Louis-Nicolas. Notice historique et archéologique de la cathédrale de Soissons, avec la biographie de ses évêques. Soissons : Voyeux-Solin, 1848.
p. 75-77. -
RODIERE, Roger. Epitaphier de Picardie. Mémoires de la société des Antiquaires de Picardie, tome 21. Amiens : Yvert et Tellier. Paris : Picard. 1925.
p. 550-551.
Documents figurés
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Soissons. - Cathédrale. Tapisserie, impr. photoméc., par Étienne Moreau-Nélaton, photographe, vers 1914. In : MOREAU-NÉLATON, Étienne. Les Églises de chez nous. Arrondissement de Soissons. Paris : H. Laurens, 1914, fig. 785.
Chercheur de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, région Hauts-de-France jusqu'en 2022.
Historienne, Martine Plouvier a été conservateur régional de l'Inventaire général de Picardie, conservateur en chef aux Archives nationales et directrice du Centre d'études et de recherches prémontrées.
Chercheur de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, région Hauts-de-France jusqu'en 2022.