Histoire du lieu
Cet endroit a de tout temps été un lieu de passage, décisif dans l´histoire du royaume.
La partie orientale de la baie de Somme comblée par les alluvions maritimes est un bassin qui se prolongeait auparavant jusqu´à Abbeville. D´après Delattre, à marées hautes, les eaux en recouvraient les 3000 hectares où le jusant faisait apparaître le cours de la Somme, des bancs de sable et un plateau crayeux, la Blanquetaque, « blanche tache » en Picard, qui s´étendait depuis Port jusqu´à Noyelles. Sur une carte de 1656, le passage est dit « Blanque Tacque ». D'après une carte du pays de 1744, il est indiqué « Blanq taq ».
Hubert Quilliot indique que la marée rongeait les pentes crayeuses de la rive droite du fleuve. Ce sont les morceaux de craie ajoutés aux alluvions drainés par les eaux qui, formant un fond compact et homogène, offrait un passage sur une largeur d´environ 40 mètres. Le gué était donc un lieu de transit stratégique entre le Ponthieu et le Vimeu. En effet, le reflux permettait la traversée à pied à deux endroits de la baie : l´un à hauteur de Saint-Valery, l´autre au gué de Blanquetaque.
Le passage changeait d´emplacement chaque année selon les grandes marées.
Il commençait à être guéable de mai jusqu´à la fin du mois d´août. Le reste de l´année, les crues en empêchait la traversée. A l´époque romaine, une chaussée prenant à Estrées-les-Crécy aboutissait au gué entre Port et Noyelles pour reprendre entre Boismont et Saigneville la direction de Eu. Le chemin dit « chemin au sel » existe encore en partie, à environ 150 mètres du haut de la côte dite de Saint-Valery, ce qui prouve que le gué était utilisé par les Romains. De plus, Dom Grenier indique que la 27e branche de la voie militaire, la chaussée qui longeait les côtes, traversait l´Authie et le Marquenterre et passait la Somme à Blanque-taque afin de rejoindre Abbeville à Nouvion en 1100.
D´après la monographie communale de Noyelles-sur-Mer rédigée par l´instituteur en 1899, ce gué était connu dès 981 au moment où Hugues Capet le passa pour enlever les reliques de saint Valery dont il s´était emparé.
En 1192, Mahieu, comte de Boulogne, s'alliant au roi d'Angleterre, passa la rivière au gué et dévasta une partie du Vimeu. En 1346, Edouard III le força, guidé par Gobin-Agache de Mons-Boubert. Cet évènement engendra la bataille de Crécy.
En 1369, le passage fut de nouveau emprunté par Lancastre, qui alla ravager le Vimeu et la Normandie fut repris en 1385 par les Français qui palissadèrent les abords. Henri V s´y présenta en 1407, mais ne put y passer et remonta alors la Somme pour trouver un pont. En 1435, des aventuriers français commandés par Bressay de Braquemont, revenant de Vimeu qu´ils avaient ravagé, passèrent le gué et se jetèrent sur le Marquenterre qu´ils pillèrent alors.
Après le passage de 300 Flamands en 1523, on jugea nécessaire de le fortifier. La garde fut alors renforcée en 1554 d´un certain nombre de bateaux plats armés de canons. Le duc de Savoie vint pour y passer, sans succès et fut obligé de se rendre jusqu´à Picquigny.
En 1592, pendant la Ligue, le duc de Parme, se portant sur Rouen, força le passage malgré un grand nombre de tués et de noyés. En 1636, Balthazar de Fargues traversa le gué à la tête de son régiment.
La dernière mention militaire du gué dans l´histoire du Ponthieu se situe en 1636.
Les moyens de défense disparurent alors peu à peu. Les ingénieurs du roi entreprirent quelques travaux de terrassement pour le détruire mais les grandes marées s´en chargèrent, les abords se nivelèrent et les grêves de sables se rétablirent comme auparavant.
Il a également joué un rôle économiquement important entre le Vimeu et le Ponthieu puisqu´une réglementation relative à l´utilisation d´un bac local se trouve reproduite au verso d´un feuillet du registre de catholicité de 1744 de Port-le-Grand (probablement daté entre le 14e et le 15e siècle).
Les habitants de Port, de Gouy et de Cahon avaient la gratuité du passage et payait un droit pour la marchandise.
En 1791, le percement du canal du duc d´Angoulême, modifiant le cours de la Somme, a pratiquement effacé les traces de l´emplacement. Se posa alors la question de la traversée du fleuve à hauteur de Petit-Port. Un second bac fut estimé indispensable pour assurer les échanges commerciaux entre le Vimeu, le Marquenterre et le Boulonnais. De nombreux voyageurs, que la marée empêchait de traverser la baie à Saint-Valery, venaient trouver un passage à Port le Grand.
Aujourd´hui le passage du gué est entièrement recouvert de bas champs.
Chercheur du service de l'Inventaire général du patrimoine culturel de Picardie, puis des Hauts-de-France, depuis 2002.