L' « Annuaire statistique et administratif du département de la Somme pour l'an 1806 » brosse une peinture assez sombre de l'état des habitations en milieu rural au début du 19e siècle : « le défaut d'air sans circulation, sans moyens de renouvellement, l'humidité des rez-de-chaussée, la mal-propreté trop générale dans nos campagnes, le voisinage des mares, etc. les rendent en général dangereuses pour la santé ». Le constat est dressé pour tout le département, mais il semble encore plus réaliste pour les villages situés dans l´arrière-pays maritime. Les bâtiments à vocations agricoles n'échappent sans doute pas à ce tableau. L'apparition de la brique qui renouvelle le paysage dès le milieu du 19e siècle, tout en respectant la structure interne des bâtiments, peut se comprendre aisément.
Les agriculteurs, regroupés en comices, ont eu une influence sur l'architecture agricole. L'insistance sur l'aération des étables, la disposition des fumiers et les systèmes d'évacuation du lisier eurent quelques répercutions sur les bâtiments utilitaires. Mais ces influences ne semblent avoir touché à l´origine que les fermes de taille.
L´amélioration des modes d´exploitation au 19e siècle, le développement de l´élevage et des cultures fourragères entraînèrent également l´agrandissement des unités d´exploitation par la multiplication de dépendances plus volumineuses. Peu à peu, les constructions nouvelles répondirent de manière plus systématique aux normes hygiéniques qui perçaient dans les campagnes. Elles devinrent convenablement aérées et bien distribuées.
Ces exigences de rentabilité et de pragmatisme sont réunies systématiquement dans les fermes modèles dont on ne trouve que deux exemples sur le terrain étudié.
1) Eléments de datation
Il est délicat de dater un bâtiment en torchis et pans de bois car cette technique a perduré jusqu´après la Seconde Guerre mondiale. Seule une analyse dendrochronologique peut aboutir à une datation précise. La couleur ainsi que le module de la brique permettent de proposer une datation approximative, qui peut varier d´un village à l´autre. Il est donc nécessaire d´être prudent.
Les épigraphies (le plus souvent par fers d´ancrage) sont généralement placées sur le logis ou sur la grange (Morlay, 133 rue de Morlay) mais peuvent être parfois erronés (ajout postérieur par remploi ou inversion des chiffres). Certaines dates sont gravées sur une poutre de la charpente mais, le bois étant régulièrement remployé, il est difficile d´en tenir compte (358 rue de Pendé à Estréboeuf).
52 éléments rencontrés sur le terrain étudié portent une date de construction.
Le dépouillement des matrices cadastrales permet de déterminer pour chaque village les périodes majeures de construction. Il semble qu´il y ait eu une vague importante au début du 18e siècle après la construction de nombreuses digues (conquête de nouvelles terres sur la mer) puis une vague de restauration des édifices existants (torchis remplacé en partie ou totalement par la brique) dans les années 1850/1870 et au début 20e siècle (enrichissement des propriétaires). La comparaison des cadastres napoléonien et actuel, ajoutée aux observations de terrain, permettent de vérifier ces éléments. Cette méthode permet également de déterminer l´évolution du parcellaire entre le début du 19e siècle et aujourd´hui.
L'absence d'édifices antérieurs au 18e siècle s'explique par le caractère relativement éphémère des constructions en torchis et pans de bois, facilement abattues ou dégradées.
2) Définition du corpus
Toutes les catégories de constructions rurales sont étudiées ici (ferme à cour fermée avec logis en fond de cour, ferme à cour ouverte avec logis perpendiculaire à la rue et grange en fond de cour) mais il est essentiel de distinguer deux groupes : les petites exploitations vivant en autarcie possédant le minimum de bâtiments (parfois accompagné d´un atelier) et les exploitations agricoles entièrement consacrées à cette activité dans un but commercial.
Différencier une ferme d´une maison est un exercice délicat. L´habitation du ménager, avec écurie ou étable sous le même toit, doit-elle être considérée comme une « ferme » ? Est-ce la présence d´une simple annexe agricole qui détermine la fonction de la construction ? Nous avons pris le parti de dénommer « maisons » les habitations pourvues d´une étable en prolongement et de comme « fermes », les ensembles architecturaux composés d´un logis et d´au moins une annexe agricole indépendante.
3) Influence de la topographie
La topographie du lieu influe directement sur l´organisation des bâtiments au sein même de la parcelle et sur leur disposition les uns par rapport aux autres. En effet, le bâti du Vimeu et du Ponthieu est relativement concentré (alignement des logis, cour fermée avec grange en front de rue). Les fermes n´occupent plus le centre du domaine cultivé : elles se regroupent en hameaux ou villages ceinturés par les champs.
Au contraire, si l´espace est très étendu, comme dans le Marquenterre (pays de petite culture où l´exploitation est en petite tenure), les bâtiments vont occuper un espace aéré : le logis sera alors indépendant (avec écurie et étable sous le même toit), les bâtiments se répartissant à la perpendiculaire, d´un côté, les étables et de l´autre, la grange. Chaque exploitation est entourée de ses pâtures afin de permettre une meilleure surveillance du troupeau. Ce mode d´organisation, qui se met en place dès le 15e siècle, se maintient jusqu´à aujourd´hui.
L'importance des bâtiments isolés sur le territoire, qui a déjà été remarquée à de nombreuses reprises, constitue une occasion d'étude particulière.
Le plus grand nombre de fermes isolées se situe sur le territoire de Quend (11). On en compte six sur celui du Crotoy, quatre à Port, trois à Saint-Quentin, deux à Boismont et Ponthoile. On observe donc qu´elles se localisent en majorité dans le Ponthieu / Marquenterre. Les autres villages possèdent davantage de hameaux, plus ou moins importants.
Ces fermes isolées possédaient une superficie comprise en moyenne entre 70 et 100 hectares.
L´étude du cadastre napoléonien permet d´observer la présence de nombreuses fermes isolées (modestes ou plus grandes) participant à l'organisation et à la structuration du territoire.
Dans l´exposé de Demangeon sur la formation de l´arrière-pays, sur l´organisation de sa conquête par la création de renclôtures, canaux et courses, il est assez frappant de constater le rôle "stratégique", en quelque sorte, de ces bâtiments : à travers l´étude historique de l´auteur, on peut se rendre compte, en effet, que ces grandes exploitations, que l´on peut dire colonisatrices, ponctuent le territoire et marquent, dans une certaine mesure, et à espaces relativement réguliers, la jonction d´un quadrillage ou d´une trame que formeraient à la fois les digues et les canaux aménagés pour le dessèchement des terres. Si l´on suit par exemple le tracé du canal appelé "canal de la Retz ou du Marquenterre", on peut s´apercevoir que ces "fermes" forment des relais sur toute sa longueur, et bon nombre d´entre elles ont une implantation historique très ancienne (telles que la Grande Retz, la Petite Retz, la Bonne Dame). Ces trois fermes faisaient partie du fief de la Retz et d´après Dufételle, elles auraient même existé antérieurement à la charte communale de 1199.
S´agit-il d´un hasard, ou d´un procédé de "colonisation" très spécifique à ce territoire entre mer et terre ?
On constate sur la carte de Cassini d´autres cas similaires qui n´apparaissent plus dans la topographie actuelle. La ferme Dufour, qui ne se trouve pas dans le Marquenterre médiéval, il est vrai, est située juste en limite de digue sur la carte de 1758 (la construction de cette dernière datant de 1742). Cet exemple est tardif, mais ne pourrait-il pas être le reflet d´une méthode qui a fait ses preuves depuis bien plus longtemps et qui serait le fruit d´une communauté humaine indépendante ?
D´autres fermes encore ont pu également jouer un rôle important comme celle de la Haie-Pénée, par exemple, souvent citée par Demangeon, parce qu´elle est à proximité de l´écluse du canal ; la ferme du Grand-Logis se trouve également près d´un siphon aménagé afin de permettre au canal du Marquenterre de traverser la vallée de la Maye pour aller se jeter dans la mer au niveau du Crotoy.
Un article paru sur la stabilité de la grande propriété d´ancienne formation dans le Marquenterre, écrit en 1939 par Daniel Montheux (colloque de l´Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud) constate trois origines pour ces propriétés : celles qui appartenaient à l´aristocratie d´Ancien Régime, dépossédée partiellement à la Révolution au profit des paysans les plus riches : les "laboureurs" (toutefois, certaines de ces familles, dès le début du 19e siècle, récupèrent leurs terres pour les conserver encore aujourd´hui). D´autres grands propriétaires ont acquis des terres assez tardivement au 19e siècle et possédaient parfois plusieurs exploitations (comme par exemple la famille Lamiré qui avait fait construire les trois fermes de la Grande-Retz, la Petite-Retz et la Bonne-Dame).
Il s´agissait à l´origine de paysans, de magistrats, d´officiers, etc. enrichis grâce à des capitaux provenant de l´industrie ou de bénéfices commerciaux. C´est ainsi que les Van Robais, possédaient, par exemple, la ferme du Domvoy (Quend).
4) Influences sur l´architecture : activité et statut de l´exploitant
La topographie du lieu influence le mode d´exploitation et donc, l´architecture. Le Marquenterre, pays d´élevage, est composé de parcelles dont les limites naturelles créent de nombreuses divisions et diminuent la surface des parcelles, interdisant le remembrement. Le pays rassemble donc un maximum d´exploitations de petite taille.
Dans le Ponthieu et le Vimeu, le plan des fermes est lié à la double activité qui s´y exerce : culture et élevage entraînent la présence de granges et d´étables. Le Ponthieu fut soumis à un remembrement plus important, caractérisé par un paysage d´openfield (présence d´exploitations de taille plus importante).
Le type d´exploitation dépend également du statut juridique de l´occupant (propriétaire ou locataire). Les différences de taille, de superficie des bâtiments, la qualité d´exécution du bâti révèlent une hiérarchie de la paysannerie.
L´évolution économique de l´occupant peut entraîner un ajout de bâtiments. En effet, le journalier qui devient ménager fait construire une grange et une étable.
L´étendue des grandes fermes est, en moyenne, de 80 à 100 hectares ; celle des moyennes exploitations varie entre 20 et 40 hectares ; celle des petites exploitations n´excède pas 20 hectares.
5) Descriptif
a) L´organisation générale de la ferme
L´orientation du logis est dictée par rapport à la rue, élément qui détermine ensuite l´organisation des bâtiments annexes. La fonction de chaque bâtiment conditionne probablement son emplacement par rapport à ses voisins.
Les fermes étudiées offrent une certaine variété d´organisation. Les différentes fonctions agricoles (abri des récoltes, des animaux et du matériel) peuvent être réparties soit dans différents bâtiments soit sous le même toit (plus fréquemment). Des points communs sont repérables, que ce soit au nord ou au sud de la baie : dans le plan (la comparaison des cadastres napoléonien et moderne en atteste) et dans les matériaux (utilisation du torchis et pans de bois jusqu´à la Seconde Guerre mondiale pour les dépendances uniquement). L´introduction de la brique a permis l´augmentation du volume des bâtiments. Certaines fermes imposantes ont ainsi été entièrement reconstruites en brique à la fin du 19e siècle (cf n°126 rue du Chevalier Gascon à Drancourt, n°22 rue de Saint-Valery).
La variété des plans est grande. La ferme a peu à peu été complétée de bâtiments au fur et à mesure du développement de l´exploitation. La structure en rangée (toutes les fonctions sous le même toit : logis, étable et grange), puis à un ou à deux retours d´équerre est donc le résultat d´un développement obtenu par agrandissement du noyau ancien.
L´organisation des bâtiments n´est pas normalisée d´un propriétaire à un autre. Mais elle répond à des principes rationnels communs : lorsque la grange est située sur rue (pour une question pratique d´engrangement), les étables, écuries et porcheries se développent perpendiculairement au logis.
Chaque bâtiment dispose d´une fonction spécifique, qui évolue parfois avec le changement des habitudes agricoles : l´écurie est convertie en étable suite au remplacement du cheval de trait par le tracteur.
Les villages ne semblent pas posséder de bâtiments agricoles collectifs. Seuls les outils sont en commun : le pressoir, le grugeoir, la batteuse...
b) La délimitation sur rue
Dans les villages au bâti concentré (Tilloy, Pinchefalise), la grange, qui occupe toute la largeur de la parcelle, est percée en son centre d´une porte cochère, elle-même ajourée d´une porte piétonne. Cette entrée fait parfois l´objet d´une recherche décorative (formes géométriques, travail du faîte, couleur).
Lorsque la propriété ne dispose pas de bâtiments longeant la rue, la cour est fermée par un mur de clôture, soit en brique exclusivement, soit composé d´un appareillage mixte mêlant silex ou galet et brique. Le mur peut être haut de 1.5 à 2 mètres (il est alors souvent coiffé d´un chaperon) ou prendre la forme d´un muret bas augmenté d´une grille.
Les haies clôturent parfois la propriété sur ses quatre côtés (Saint-Quentin-en-Tourmont) mais tendent à disparaître car elles exigent un travail d´entretien.
Le rideau d´arbres qui protégeait auparavant la ferme des vents d´ouest a presque partout disparu.
b) Le corps de passage
Pour les fermes à cour fermée, l´entrée de la cour est bien souvent protégée par un corps de passage, abritant les charrois lors du déchargement dans la ou les deux granges longeant la rue (une ouverture, dite gerbière, est alors pratiquée dans le pignon de chacune d´elle comme à Wathiéhurt, 1303 rue des Eaux). Les deux pignons sont alors le plus souvent découverts (Mayoc, 7 hameau de Mayoc). Le passage sert également d´abri ou de lieu de remisage des véhicules et des instruments aratoires.
Le passage couvert a souvent été détruit suite au manque d´entretien de la grange mitoyenne. On n´en compte plus que 20 sur le territoire étudié.
c) La charreterie
La charreterie (appelée également chartil, cartrie ou carterie en Picard) peut également se situer sous un édifice agricole indépendant dont le mur gouttereau sur cour serait entièrement ajouré (ferme de Romiotte à Ponthoile, Pendé 1 rue du 11 Novembre) ou dans son prolongement sous le même toit (Wathiéhurt, 667 route de Saint-Valery). Dans ce cas, elle est généralement placée à l´entrée de la cour (Drancourt, 126 rue du Chevalier Gascon). Le niveau supérieur peut parfois servir de grenier (Tilloy, 8 place du 8 Mai, ferme de la Domvoie à Quend).
La grange peut également tenir lieu de charreterie en raison du volume ample qui la qualifie (Port, 8 rue du Pré).
d) La cour et ses composantes
L´existence ainsi que les dimensions de la cour dépendent de la configuration des bâtiments. Dans le Marquenterre, les bâtiments situés en retrait de la rue, au coeur de leur parcelle, ne dessinent pas spécifiquement une cour. Au contraire, dans les pays où le bâti est plus concentré, l´organisation des annexes engendre la création d´un espace clos que l´on peut appeler « cour ». Cette typologie détermine également si cet espace est fermé (les bâtiments sont mitoyens de manière à dessiner un espace clos) ou ouvert (des passages sont maintenus entre les bâtiments pour le va-et-vient des bêtes entre la cour et les pâtures attenantes). Chaque passage est alors matérialisé par un portail, faisant pendant à celui de l´entrée (cf Morlay, 4 rue de la Petite Digue).
La cour, souvent entourée d´un trottoir de brique, est occupée au centre par une mare (une seconde se trouve parfois dans les pâtures). Recevant les eaux d´égout, elle servait principalement à l´abreuvage des bêtes et constituait une réserve d´eau en cas d´incendie. Dans une ferme, la mare s´appelle le flot, dans une prairie : une gove ou gofe (poche d´eau).
Le tas de fumier occupe également le coeur de la cour ou est relayé sur un des côtés, en face des étables à porcs. De minuscules rigoles conduisent le purin au fumier.
e) Le logis
Ses caractéristiques sont similaires à celles des maisons (voir dossier collectif).
Son emplacement au sein de l´exploitation est déterminé de façon à assurer des parcours minimums entre les différents bâtiments de service et une surveillance aisée de la cour. Bordé d´un trottoir en brique sur cour et sur jardin, il occupe presque toujours toute la largeur de la cour. Il n´est que très rarement surélevé, même dans les zones inondables. Il peut être accolé ou non aux autres bâtiments.
Dans les grandes fermes, les chambres sont placées sous le comble (Port). Les domestiques sont logés dans le grenier ou de préférence dans les chambres très sommaires près de l´écurie ou de l´étable, ou parfois dans l´écurie même (Boismont, lit d´appoint en hauteur).
Les ménagers étaient hébergés à part, de préférence au village dans des maisons indépendantes (comme à Port-le-Grand pour les ouvriers de la ferme Saint-Honoré).
L´habitation semble être le bâtiment le moins entretenu de l´exploitation, les paysans accordant davantage d´importance à la préservation des bâtiments agricoles. Lorsque les exploitations ont commencé à péricliter et le confort à gagner les campagnes, le logis fit l´objet de certaines modifications qui changèrent totalement son aspect et sa structure d´origine (multiplication et agrandissement des pièces, percement de nouvelles ouvertures et élargissement des anciennes, extensions, remplacement du torchis par le ciment ou le parpaing...).
f) L´écurie
L´emplacement de l´écurie est directement dicté par celui du logis. Elle se situe systématiquement dans son prolongement, près de la chambre du maître. Malgré la reconstruction du logis en brique (limite 19e et 20e siècles), elle occupe toujours ce même emplacement. Souvent, une écurie supplémentaire, indépendante, contient un ou deux chevaux de monte destinés au déplacement des propriétaires.
L´écurie ne doit pas être fraîche le soir lorsque le cheval rentre du travail en sueur. La façade doit donc être orientée au sud-est ou au sud, afin d´éviter les trop grands écarts de températures.
Les murs doivent avoir une résistance mécanique suffisante dans les parties exposées aux atteintes des animaux (mur en torchis recouvert d´un essentage de planches), s´opposer à la pénétration de l´humidité, amortir les variations de températures extérieures. C´est pourquoi le torchis a été peu à peu remplacé par la brique. Les murs intérieurs sont souvent recouverts d´un enduit lissé au mortier de ciment et chaulé pour éviter les maladies.
La façade est percée de baies remplissant deux fonctions : l´éclairage et l´aération. Elles sont généralement situées à 1.8 mètre du sol afin d´éviter une lumière trop directe. Ces ouvertures prennent le plus souvent la forme de baies horizontales dans les bâtiments en torchis et verticales pour ceux en brique.
Le sol, à l´origine en terre battue, est couvert de brique ou de galets (Tilloy) puis de béton.
Le plafond est recouvert d´un plancher haut (la hauteur moyenne étant de 2.8 m minimum).
La porte est à deux vantaux horizontaux.
Avec l´introduction du tracteur, le cheval fut de moins en moins utilisé pour le travail des champs. L´écurie fut alors désaffectée et reçut une nouvelle fonction (débarras ou habitation).
g) La grange
Lorsque la grange est en front de rue (pour faciliter l´engrangement), elle s´étend sur toute la largeur de la parcelle. Le couloir central destiné au battage est généralement matérialisé par une extension dans la toiture pour le passage des charrois.
Cet édifice nécessite une ventilation permanente pour le séchage des fourrages ; de petites baies étroites percent les murs gouttereaux à distance régulière.
La charpente est généralement en chêne, seule essence résistant à un tel volume.
Dès le milieu du 20e siècle, les meules sont stockées dans les hangars placés à l´écart de l´exploitation en raison des risques d´incendie : peu à peu, on isole ainsi les récoltes.
La grange fut parfois convertie en atelier (Pendé, 9 rue de l´Eglise) ou en étables (1303 rue des Eaux à Wathiéhurt). Cette mutation de la fonction primitive en abri pour animaux se faisait provisoirement en hiver quand l´espace n´était pas utilisé pour les récoltes et que les bêtes ne paissaient plus dans les pâtures en raison du froid. Peu à peu, la grange devint impropre aux besoins des agriculteurs (volumes et ouvertures trop exigus) ; elle fut alors définitivement transformée en étable, justifiant la difficulté de différencier les deux bâtiments.
La grange est l´élément de la ferme qui disparaît en premier, puisque son entretien occasionne de nombreuses dépenses. Son absence forme aujourd´hui des discontinuités au sein du tissu urbain.
220 exploitations recensées possèdent une grange.
h) Les étables, vacheries et bouveries
Les étables portent plusieurs noms, selon qu´elles sont destinées aux vaches laitières (étables), aux boeufs (bouveries), aux veaux. Bénéficiant d´un volume proportionnel au nombre de bêtes, elles sont souvent disposées sur les côtés de la cour ou le long de la rue (quand cet espace n´est pas occupé par la grange).
Bâtiment long et bas, les étables ne recevaient les bovins qu´entre le début du mois de décembre et la fin du mois d´avril.
L´édifice, lorsqu´il est en torchis, est percé d´ouvertures horizontales placées en hauteur et de petites meurtrières ou de baies semi-circulaires lorsqu´il est en brique ou en maçonnerie mixte de silex et de brique.
Le plafond est soit composé d´un plancher soit de perches de bois sur lesquelles une couche de paille (en Picard « chenayère ») est chaulée.
Les portes sont le plus souvent à doubles vantaux horizontaux pour une meilleure aération de l´édifice. Les cloisons intérieures sont constituées, comme les murs, d´un solin plus ou moins haut (parfois 1.5 mètre) avec pans de bois et torchis lorsque la maçonnerie extérieure utilise ces matériaux. Un essentage de bois peut protéger les murs intérieurs du frottement des animaux. Lorsque la maçonnerie est en brique et silex, il est également possible de trouver une couche de torchis protectrice sur les murs intérieurs (ferme Saint-Honoré à Port-le-Grand).
Parfois, un système d´alimentation extérieur permet l´approvisionnement des mangeoires en fourrage par une série de trappe (Tilloy, 5 place du 8 mai). Le grenier est percé de baies (parfois de lucarne à fenêtre pendante) pour l´engrangement, accessibles uniquement par une échelle (absence d´escalier intérieur ou extérieur).
Seule la présence de la mangeoire permet de déterminer la fonction du bâtiment (souvent couplée à l´écurie, en raison de la présence du râtelier).
390 édifices disposent d´au moins une étable.
i) La bergerie
Ce type d´édifice n´a été que rencontré rarement sur le terrain étudié car l´élevage du mouton peut s´effectuer sans abri. En outre, il fut peu à peu abandonné.
Pourtant, lorsqu´elles sont présentes, les bergeries sont facilement reconnaissables : il s´agit de bâtiments longs et bas, aux portes cintrées, le plus souvent en brique.
Les abris de bergers, composés de chaume et de torchis, étaient situés au coeur des marais. Aucun exemple n´a été rencontré sur le terrain étudié (l'un d'eux est encore visible à Woignarue), au même titre que les pièces destinées à la tonte des moutons, les séchoirs, lavoirs et magasins pour la laine sur ce territoire où l´animal était pourtant très présent jusqu´au 18e siècle. Il semble donc que les bergeries et leurs bâtiments annexes aient aujourd´hui presque totalement disparu ou aient été converties.
Seules cinq exploitations recensées disposent de bergeries.
j) Les porcheries
L´élevage du porc se systématise au 18e siècle en raison de sa rentabilité ; les porcheries font donc leur apparition dès cette époque. Elles sont le plus souvent placées le long de la rue ou à proximité du logis. On les trouve également accolées à l´étable, dont le versant postérieur de la toiture, plus long, forme un appentis.
Les porcheries sont facilement reconnaissables puisqu´il s´agit d´un bâtiment bas, le plus souvent en brique, divisé en compartiments très étroits (dites cases ou loges car un porc engraisse plus vite lorsqu´il est isolé), percés d´une porte cintrée.
Une petite pièce destinée à la cuisson des aliments est parfois placée à proximité. Un système de distribution de la nourriture depuis l´extérieur peut être visible : l´auge, le plus souvent en béton, est ainsi placée une moitié en dehors et l´autre moitié dans le bâtiment avec couvercle à charnière suspendu (Tilloy, 6 place du 8 mai).
Quand le bâtiment est en torchis et pans de bois, les cloisons sont exécutées plus ou moins grossièrement à l´aide de planches et branches d´arbre. Les murs intérieurs ne sont pourvus d´aucun revêtement : le torchis est laissé brut. Le plafond est alors constitué de branches posées sur les murs gouttereaux recouvertes d´une couche de foin appelée ‘chenaillère´. L´utilisation de la brique engendre la disparition de tous ces éléments.
76 fermes recensées possèdent une porcherie.
k) Le hangar
L´évolution de l´agriculture a engendré la création de nouveaux bâtiments. Le hangar en est un exemple. La grange étant devenue un espace insuffisant en raison de l´extension de la culture, le hangar fut destiné à abriter, dans un plus vaste volume, le fourrage et les engins agricoles (le matériel roulant étant de plus en plus important). Il occupe bien souvent le fond de la propriété. La charpente est le plus souvent en bois et le toit en tôle.
l) La laiterie
La laiterie, destinée à la confection du beurre et à la conservation du lait et de la crème, doit être un endroit frais et propre. Elle est bien souvent ouverte au nord de façon à ce qu´elle soit fraîche et de température sensiblement constante. Selon Joigneaux, la distance entre le pavé et le plafond doit être la plus grande possible afin que la vapeur qui s´échappe du lait chaud puisse s´évaporer. Le sol est en brique pour une question d´hygiène (à l´origine en terre battue).
17 laiteries ont été recensées sur le terrain étudié.
m) Le cellier ou cave dit ‘plat-cul´ en Picard
Chaque ferme possède plusieurs caves. Le beurre, la crème et les produits frais étaient conservés dans une cave (sous le logis), séparée de celle réservée au cidre (située sous la grange).
Le cellier, qui abritait à l´origine le pressoir à cidre ainsi que les tonneaux, était composé de deux niveaux : le rez-de-chaussée réservé au tour à piler (grande auge circulaire servant à broyer les pommes) et le premier étage, au grenier à pommes (Estréboeuf, Ferme de la Chasette, rue de Pendé). Malheureusement, ce type de machine ne se rencontre que très rarement.
Tous les villages ne possèdent pas nécessairement de cave en raison de la proximité de la nappe phréatique (parfois à 80 cm de profondeur). La pièce est le plus souvent donc peu profonde (60 cm). De petites dimensions, elle ouvre par une trappe à hauteur du sol placée dans la salle commune ou est accessible depuis une porte extérieure percée en façade du logis ou d´un bâtiment agricole. Le sol est en terre battue.
n) Le puits
Sur l´ensemble du terrain étudié, quasiment chaque ferme possédait un puits (en raison de la proximité de la nappe phréatique). Rarement situé à l´intérieur même de la maison (un exemple à Quend), il était donc placé non loin de la salle commune (au centre de la cour, contre un bâtiment abrité par un petit prolongement du toit ou encore, derrière la maison). Il était parfois commun à plusieurs habitations.
Il possédait à l´origine une petite charpente portant un toit de tuiles ou de chaume (voir les cartes postales anciennes) ou d´une couverture à deux pans avec essentage de planches (Salenelle, 5 rue des Verrotiers). D´autres utilisent parfois le galet lorsque ce matériau est fréquent (cf Bihen, 3 rue de Bihen). Une manivelle en fer permet la manipulation du seau (Pendé, 10 rue de l´Eglise). L´ouverture est orientée à l´inverse des vents.
Aujourd´hui, l´usage des puits est révolu, c´est pourquoi ils sont devenus rares. 22 sont encore visibles sur tout le territoire étudié.
o) Le fournil
Lorsque le fournil est isolé, il est appelé boulangerie (comme à Noyelles, 9 rue du Général de Gaulle). Mais cette disposition est rare puisqu´il est le plus souvent intégré au logis. La confection de la crème et du beurre se faisait parfois au sein de cette pièce dans laquelle se trouvait l´écrémeuse.
Sa description est davantage développée dans la fiche « collectifs maisons ».
p) Le jardin-potager, le verger, la pâture
Chaque ferme possède à l´arrière du logis un terrain (de un à quatre hectares) de même largeur, divisé méthodiquement en verger, jardin-potager et pâture (plantée de pommiers). Ces compartiments sont séparés les uns des autres par des haies ou des murs composés des matériaux locaux (souvent blocage de silex ou à l´origine, le palis : mur en ossature bois et torchis).
Dans le jardin sont cultivés tous les légumes destinés à la consommation personnelle. Le surplus est vendu au marché de la ville la plus proche (carotte, laitue...). Celui des fermes de taille est davantage un lieu de vie, de détente et de sociabilité (Ferme du Mont du Coq à Morlay, le Châteauneuf à Quend, ferme sise au n°883 rue du Hamelet).
q) Le manège à battre
Le manège à battre (ou batteuse à manège ou encore « piétinneuse ») détermine une aire couverte destinée à faire piétiner les céréales au sol par les animaux. Quelques témoignages en attestent l´utilisation jusqu´au milieu du 20e siècle. Certaines exploitations possédaient ce type de machine (cf à Morlay, 4 rue de la Gare).
r) Le colombier et le pigeonnier
Le colombier était, jusqu´à la Révolution, signe de puissance et de respectabilité. Sa construction était réglementée. Après 1789, chaque citoyen fut libre d´en posséder un. Dans les campagnes, s´édifièrent au 19e siècle ces constructions qui témoignent de l´accession des classes paysannes à la propriété.
Au-delà de son rôle symbolique, l´élevage de pigeons présente deux intérêts : une réserve alimentaire pour la consommation domestique et la production de fientes utiles pour la fertilisation des terres, constituant ainsi un complément de revenus.
Le colombier est soit implanté au coeur de la cour, soit englobé dans la maçonnerie d'un des bâtiments de ferme : il est alors appelé pigeonnier.
Lorsqu´il est isolé, le bâtiment comporte quatre, six ou huit pans ou est de forme circulaire. La maçonnerie se compose de matériaux variés : de torchis et pans de bois (comme à Pinchefalise, 9 rue du Canal), de brique le plus fréquemment (Ferme de Romiotte à Ponthoile), d´un blocage de silex (Port, 8 rue du Pré) ou plus rarement de pierre de taille (Mayoc, 7 hameau de Mayoc). La base est souvent plus large, afin d´accueillir deux compartiments (Saint-Quentin-en-Tourmont, 8 rue des Ecoles) : pressoir, cave voûtée en pierre, étable ou poulailler (Bethléem, 17 rue de Cayeux). Son toit en pavillon ou à section octogonale peut être en ardoises ou en tuiles. Le bâtiment fait parfois l´objet d´un léger décor, essentiellement concentré à la corniche, rappelant celui des autres édifices annexes (Port, 6 rue du Presbytère).
On accède à l´étage supérieur soit par un escalier intérieur soit par une échelle volante. Dans les plus beaux exemples, au centre de la pièce, une poutre de chêne placée verticalement et munie aux extrémités de pivots de fer, reçoit trois potences auxquelles est fixée l´échelle.
Ces édifices sont le plus souvent indiqués sur le cadastre napoléonien, sous la forme d´un petit carré situé au coeur de la cour. Certains ont été détruits depuis. Victimes du manque d´entretien, fragilisés, ils tombent généralement lors des tempêtes.
Lorsque le pigeonnier est partie prenante d´un bâtiment, il est également appelé volière ou fuie et utilise les mêmes matériaux que l´édifice dont il dépend (Morlay, 4 rue de la Petit Digue). Il s´agit généralement d´une petite tour se détachant de la toiture de l´édifice, de section octogonale (cf Ferme du Mont du Coq à Morlay) ou rectangulaire, avec ouverture cintrée et trous de boulins pratiqués dans une porte mobile (Noyelles, 1 rue Violette Szabo et 23 rue de l´Eglise) ou dans la partie haute d'un pignon (Hamelet, La Grande Pâture). Une petite planche d´envol souligne les ouvertures (Nolette, 2 rue de Ponthoile et 5 rue de Ponthoile).
A l´intérieur, les nids de pigeons sont disposés dans des alvéoles (les boulins). Une porte, généralement placée au midi en hauteur, permet d´atteindre l´édifice pour son nettoyage.
On en compte encore 25 sur le territoire étudié.
s) La forge
D´après Bouchard (18e siècle), « depuis que les machines agricoles occupent une si large place dans l´économie rurale, on prend de plus en plus l´habitude, dans chaque ferme, d´avoir une forge pour les premières réparations ». En effet, les grandes exploitations, dont les occupants étaient propriétaires du matériel, disposaient d´une forge, le plus souvent sommaire. Aucune n´a été retrouvée sur le terrain étudié mais des témoignages attestent leur existence (Port-le-Grand, ferme Saint-Honoré).