HISTORIQUE
La Basse-Œuvre ayant été endommagée par un incendie en 1225, on décida de doter la cité d'une église comparable, en splendeur et en dimensions, aux grandes réalisations des diocèses voisins.
On choisit de reconstruire la cathédrale, tout en continuant à utiliser l'ancienne église épiscopale pour célébrer le culte pendant la durée des travaux. Ceux-ci furent commencés sous l'épiscopat de Milon de Nanteuil (1217-1234). Trois campagnes de construction sont identifiables jusqu’à l’achèvement du chœur, où l’on célébra le premier office en 1272. Mais le 28 novembre 1284, une partie des voûtes s'effondra sur les travées droites. Seule l’abside fut épargnée. Le chœur fut alors étayé et consolidé : on doubla le nombre des piliers intérieurs soutenant les travées droites. Les réparations étaient probablement achevées au milieu du 14e siècle, avec l'intervention de l'architecte Enguerrand le Riche à partir de 1338.
L'édifice resta en l'état jusqu'à la fin du Moyen-Age ; les seuls compléments apportés au 15e siècle concernent le décor intérieur : confection de la tenture de la Vie de saint Pierre, création des autels de Notre-Dame de la Paix et de sainte Anne. Mais en 1499, le chapitre résolut de reprendre le chantier et d'élever le transept et la nef. Le projet fut confié à Martin Chambiges, maître-maçon de Paris. La première pierre fut posée par l'évêque Louis de Villiers en 1500. Les travaux commencèrent par le bras sud du transept.
Martin Chambiges mourut en 1532. Son fils Pierre Chambiges lui succéda. En 1537, furent posés les vitraux du bras nord du transept, qui reçut son comble et sa couverture en 1538-40. Le comble du côté sud fut quant à lui achevé en 1548 et une statue de saint Pierre fut alors placée au sommet de la façade méridionale. En 1550, le bras sud du transept était voûté.
Plutôt que de poursuivre le chantier par l'édification de la nef, le chapitre se lança alors dans la construction d'une gigantesque tour-lanterne à la croisée du transept. Le plan de cette tour, dressé par l’architecte Jean Vast, fut adopté en 1561. Six ans plus tard la tour était achevée, la pyramide en charpente qui la surmontait reçut sa couverture de plomb et son amortissement sommital : une croix de fer.
La cathédrale de Beauvais était alors l'église la plus haute de la chrétienté, dépassant même Saint-Pierre de Rome. Mais dès 1572, on commença à redouter l'accident : la croix de fer qui surmontait la tour-lanterne fut déposée car elle paraissait trop pesante. Un an plus tard, ce fut la chute : le jour de l'Ascension (30 avril 1573), la tour s'effondra. Par chance, les fidèles venaient de quitter la cathédrale en procession et il n'y eut pas de victime.
On répara aussitôt les parties endommagées. Les voûtes que la chute de la tour avait abîmées, dans le chœur et le transept, furent remises en état et la croisée du transept reçut un couvrement en bois. Mais il n'était plus question de lancer une flèche à l'assaut des nuages : un modeste clocher remplaça la tour de Jean Vast. Encore n'y plaça-t-on qu'une partie des cloches de la cathédrale : le reste se trouvait dans une tour adjacente, aujourd'hui disparue, qui se dressait près du portail méridional.
Le projet d'achèvement de la cathédrale n'était cependant pas abandonné. Il fut mis en sommeil pendant le dernier quart du 16e siècle, mais dès 1600 la construction reprit sous la direction du maître-maçon Martin Candelot. En 1604, une première travée de la nef fut voûtée. Un palis de bois provisoire fermait l'église à l'ouest. Cette clôture finit toutefois par devenir permanente, laissant la cathédrale de Beauvais à jamais inachevée. Les travaux menés aux 17e et 18e siècles concernèrent essentiellement le décor intérieur.
A la Révolution, la cathédrale devint simple église paroissiale et perdit une bonne partie de son mobilier, notamment ses reliquaires d'orfèvrerie qui furent envoyés à la Monnaie pour y être fondus. Dans les premières décennies du 19e siècle, l'église (redevenue cathédrale en 1822) parvint à retrouver un certain decorum en récupérant des éléments dispersés du patrimoine religieux beauvaisien : la chaire de l'abbaye Saint-Lucien, les stalles de Saint-Paul-lès-Beauvais, etc.
L'édifice fut classé parmi les Monuments Historiques dès la rédaction de leur première liste en 1840. L'architecte Ramée, chargé d'établir un programme de restauration en 1842, proposa d'agrandir la cathédrale à l'ouest en construisant une ou deux travées supplémentaires afin de contrebuter l'église. Ce projet, repris par son successeur Verdier, fut définitivement abandonné en 1854. Les seuls travaux désormais envisagés concernèrent la restauration. Les pyramides chancelantes qui terminaient les culées des arcs-boutants furent refaites à partir de 1813. Après 1861, les toitures en tuiles des chapelles rayonnantes et des bas-côtés furent remplacées par une couverture en terrasse, pour dégager les baies obstruées du triforium. Et les piles des bas-côtés du chœur furent reprises en sous-œuvre en 1897 et 1904.
La cathédrale ne subit pas trop de dommages pendant la Première Guerre mondiale. En revanche elle fut touchée par les bombardements de 1940 qui détruisirent la sacristie du chapitre. Mais comparativement au reste de la ville, la cathédrale fut relativement épargnée : elle ne reçut que cinq bombes et demeura debout. Quant aux vitraux anciens, les scènes figurées avaient toutes été déposées et mises à l'abri au château de Carrouges, dans l’Orne, en 1939. Si la cathédrale ne souffrit pas trop, tout le quartier canonial qui l’entourait fut laminé.
DESCRIPTION
Le plan de la cathédrale reflète l'histoire de l'édifice : le parti d'origine fut modifié au 14e siècle, lors de la restauration des éléments effondrés en 1284, puis au 16e siècle lorsqu'on reprit les travaux abandonnés pendant plus d'un siècle. Dans son état actuel, l'édifice ne possède qu'une amorce de nef à l'ouest. Il est essentiellement composé d'un transept et d'un chœur. Le transept, saillant, comprend trois vaisseaux de trois travées. Le chœur comporte six travées droites et une abside entourée d'un déambulatoire sur lequel s'ouvrent sept chapelles rayonnantes. Ce plan s'apparente à celui du chœur de la cathédrale d'Amiens ; toutefois la chapelle d'axe ne reçoit pas de développement particulier à Beauvais. D'autre part, le plan actuel n’est pas exactement celui du 13e siècle : à l'origine le chœur n'avait que trois travées droites (elles furent recoupées au 14e siècle pour consolider l’édifice) et le transept aurait dû porter des tours qui ne furent jamais construites.
Le transept est très richement orné dans le style gothique flamboyant. Seule sa partie orientale date du 13e siècle ; ce fut par là que commença la construction de la cathédrale vers 1225. Cette antériorité explique l'originalité de son élévation : au-dessus de la baie inférieure apparaissent une galerie de circulation extérieure et une rose, qui ne se retrouvent pas sur les autres murs de la cathédrale. Mais les travaux ayant été interrompus, le reste du transept ne fut achevé qu'au 16e siècle dans un style beaucoup plus chargé.
La partie la plus imposante de la façade sud correspond au vaisseau central du transept. Encadrée de deux tourelles abritant des escaliers, elle se divise en plusieurs étages : celui du portail, surmonté d'un gâble ; celui de la claire-voie centrale ; celui de la rose ; enfin celui du pignon décoré de niches, qui termine l'élévation.
Le portail d'entrée offre une riche ornementation. Avant la Révolution, l'accès était encadré par les statues des apôtres ; au-dessus, dans les voussures, étaient représentées des scènes de la vie de saint Pierre, patron de l'église. Ces sculptures ont malheureusement disparu en 1793, mais il reste les niches et les dais qui les abritaient, ainsi que les figures de monstres et de grotesques qui s'agitent entre les pampres de vigne tout autour du portail. L'édifice a conservé ses portes du 16e siècle : de superbes vantaux de bois sculptés, attribués au sculpteur Jean Le Pot. Ils représentent à gauche, saint Pierre guérissant un boiteux à la porte du Temple et à droite La conversion de saint Paul sur le chemin de Damas. En dessous apparaît parmi d’autres figures la salamandre de François Ier, bienfaiteur de la cathédrale. Ces sculptures sont imprégnées du style de la Renaissance.
Le chevet de la cathédrale est particulièrement impressionnant, avec sa forêt d'arcs-boutants dont la légèreté contraste avec leur hauteur. Ils soutiennent la cage vitrée qui se dresse au centre, surplombant les chapelles latérales. Les culées qui portent les arcs-boutants sont ornées de gâbles et de fines colonnettes, qui les font paraître moins massives. A la tête des arcs-boutants sont ménagées des niches qui conservent les restes mutilés de statues de saints.
Plus bas dans la composition très hiérarchisée du chevet se développe le déambulatoire, dont les baies s'inscrivent dans un triangle, puis les chapelles qui forment la base de la pyramide. Chaque chapelle vient s'encastrer entre deux culées. En outre, deux contreforts moins massifs la soutiennent. Ils reprennent la même modénature que les culées qui les entourent, permettant ainsi à l'œil de glisser sans heurt le long des chapelles. Le soubassement circulaire qui porte toutes les chapelles accentue cette fluidité. On comprend dès lors la volonté de ne pas donner plus d'espace à la chapelle axiale : son développement aurait rompu la couronne de chapelles qui ceinture la cathédrale à l'est.
La façade nord du transept, symétrique par rapport à celle au sud, est légèrement plus simple. Le portail nord est lui aussi décoré de vantaux sculptés du 16e siècle, mais leur style est d'inspiration plus gothique. Ils représentent les Docteurs de l'Église entourés des Sibylles, thème hérité de la fin du Moyen-Age. A côté du transept, la sacristie est surmontée de la salle du trésor : ces annexes accolées au flanc de la cathédrale font partie des réalisations du 13e siècle.
L'intérieur
La façade occidentale n'ayant pas été construite, on pénètre dans la cathédrale par le bras sud du transept. L'effet d'élancement est alors saisissant : les voûtes culminent à 48 mètres de hauteur. Le gigantisme du chœur se brise pourtant sur le mur nu qui interrompt la nef à l'ouest : l'intérieur de la cathédrale de Beauvais, longue de 70 mètres environ, semble à la fois immense et tronqué.
A droite de l’entrée, à l'est du transept, le bas-côté révèle le premier aspect de la construction du 13e siècle. Les murs et les piliers y sont assez épais, pour supporter des tours dont le projet fut finalement abandonné. Les travaux, interrompus au-dessus du niveau des grandes arcades, ne furent repris qu'au 16e siècle, la majeure partie du transept datant de par ailleurs de cette époque. Cette partie est marquée par le style flamboyant : les piliers ont une forme ondulée et ne possèdent pas de chapiteau, les retombées de voûtes pénétrant directement dans la masse du support. L'architecte désirant élever une tour, cette fois au centre du transept, prit soin de ne pas trop évider les murs porteurs : c'est pourquoi l’étage séparant les grandes arcades des fenêtres hautes n'est pas occupé par une galerie de circulation ajourée, comme dans le chœur, mais par une simple arcature aveugle.
Sur la voûte du transept, les dates : 1577 et 1550 au sud, 1578 au nord, correspondent à deux campagnes de travaux : 1550 indique l'achèvement de la construction du transept sur les plans de Martin Chambiges. Les deux autres dates correspondent à la reconstruction qui fut menée après la chute de la tour centrale du transept en 1573. C'est à cette époque qu'on mit aussi en place le couvrement en bois de la croisée, plus léger qu’une voûte en pierre.
Le transept du 16e siècle, malgré son style flamboyant, respecte l'élévation choisie au 13e siècle pour le chœur, à savoir une division en trois niveaux : les grandes arcades, le triforium (galerie de circulation intérieure) et les fenêtres hautes. Ces trois niveaux apparaissent nettement dans le vaisseau central du chœur. Les fenêtres hautes sont particulièrement élevées, ce qui donne sa légèreté et son élan à l'édifice. De plus le triforium est ajouré, augmentant ainsi l'ampleur de la paroi lumineuse.
Les piliers élevés au 13e siècle le long du vaisseau central du chœur sont formés d'un noyau circulaire entouré de colonnettes. Leur originalité est d'être asymétriques : les colonnettes sont plus nombreuses vers le collatéral que vers le chœur liturgique, où n’existe qu’une seule colonnette profondément enfoncée dans le noyau circulaire. Le spectateur est ainsi invité à laisser glisser son regard sur les piliers du chœur, presque lisses, tandis qu'il perçoit dans le collatéral et le déambulatoire des jeux d’ombres et de lumières le long des supports.
La répartition en trois niveaux se retrouve dans le déambulatoire et le collatéral du chœur, quoique les fenêtres y soient moins développées et que le triforium ne soit pas autant éclairé. Il est assez rare que l'élévation du collatéral reproduise ainsi celle du vaisseau central. Un tel parti produit un effet d'étagement des volumes intérieurs. Cet effet est renforcé par le décrochement entre le déambulatoire et les chapelles qu’il dessert : le regard progresse de la zone la plus basse, sur les côtés, vers la hauteur intermédiaire du déambulatoire avant de s'élever jusqu'au sommet de la partie centrale. Malgré ses dimensions gigantesques, l'espace est ainsi unifié.
La chute d'une partie des voûtes du chœur en 1284 entraîna d'importantes modifications de l'élévation primitive. On voulut ajouter de nouveaux piliers pour soutenir les voûtes, brisant ainsi les espaces imaginés au 13e siècle. Les grandes arcades des travées droites du chœur furent donc recoupées : les piliers ajoutés au 14e siècle passent au travers des arcs d'origine, dont le tracé est encore apparent. Ces piliers se distinguent par leur diamètre plus faible et par leur décor sculpté : le feuillage des chapiteaux est plus grêle.
La voûte a également été renforcée : chaque travée est couverte d'une voûte sexpartite, formant une étoile autour de la clé centrale. A l'origine, les voûtes ne comportaient que quatre voûtains, comme à Chartres ou à Amiens. Les deux autres voûtains sont une adjonction du 14e siècle.
Le dessin du triforium et des fenêtres hautes a lui aussi été modifié dans les travées droites du chœur, devenues beaucoup moins larges au 14e siècle. En revanche toute la partie tournante du chœur a conservé ses parties hautes du 13e siècle. La différence entre les deux campagnes de construction apparaît par exemple dans le triforium : les colonnettes et les rosaces qui décorent cette galerie de circulation sont plus fines dans l'abside que dans les travées droites. Dans chaque travée tournante la colonnette médiane établit un lien avec la fenêtre haute qui domine le triforium ; ce prolongement disparaît dans les travées droites du chœur, où le triforium est isolé des baies vitrées par un cordon horizontal que rien ne franchit.
Malgré les reprises du 14e siècle et du 16e siècle, la cathédrale de Beauvais a conservé la hauteur et la luminosité voulues par ses bâtisseurs. Les parois, entre les supports de voûtes, ne sont que de fines cloisons de vitraux translucides et colorés. La cathédrale abrite en effet un ensemble de verrières remarquables, allant du 13e au 20e siècle.
Photographe du service de l'Inventaire général du patrimoine culturel, Région Hauts-de-France.