Photographe au Service régional de l'Inventaire des Hauts-de-France (2023).
- patrimoine industriel, la Première Reconstruction industrielle
- (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
Dossier non géolocalisé
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Aires d'étudesPicardie, Chaunois, Saint-Quentinois, Santerre Haute-Somme, Sources et Vallées, Compiégnois, Trait Vert
1. Le contexte institutionnel et les objectifs de l’opération
L'opération conduite par la direction de l'Inventaire de la Région Picardie est programmée sur la période 2014-2018. Elle s'inscrit dans le cadre de l'étude sur le patrimoine de la reconstruction en Picardie après la première guerre mondiale.
Son objectif est de produire une synthèse régionale sur le patrimoine de la reconstruction industrielle après la première guerre mondiale.
2. Descriptif de l’opération
a. - Délimitation de l’aire d’étude
Le parti pris d'une synthèse régionale, qui s'appuie en partie sur des recensements effectués dans la Somme et l'Oise, propose ici une aire d'étude à deux échelles, d'une part la région, en privilégiant les territoires les plus marqués par les destructions, d'autre part une échelle opérationnelle permettant de compléter les données dans le département de l'Aisne, et notamment dans le Chaunois.
Le périmètre du Chaunois retenu comprend les 71 communes du Pays du Chaunois, défini par l’arrêté du 13 janvier 2005. Pour des raisons géographiques et de cohérence avec les problématiques de l'étude, les communes de Brissay-Choigny, Flavy-le-Martel, Jussy, Montescourt-Lizerolles et Moÿ-de-l’Aisne, situées au sud du Pays Saint-Quentinois, sont intégrées au périmètre de l'étude, porté ainsi à 76 communes. Les limites chronologiques retenues vont de 1919 à 1931.
- Délimitation géographique du territoire
Dès le début de la guerre, à l'été 1914, la Picardie est plongée dans l'horreur de la guerre et devient le théâtre funeste des combats acharnés. L'industrie est d'emblée considérée comme un enjeu stratégique. Dans les territoires occupés par l'Allemagne, et notamment dans le département de l'Aisne, ainsi que dans un bon tiers du département de la Somme et au nord-est de l'Oise, les usines sont occupées et l'outil de production est systématiquement démantelé, à l'exception peut-être des usines de construction mécanique qui sont utilisées et entretenues par l'armée allemande. Du côté Français, la mobilisation industrielle décrétée en septembre 1914 par l'Etat, modifie la production des usines qui sont alors mises au service de la Défense nationale. Pour les usines dont la production n'est pas considérée comme prioritaire, l'approvisionnement difficile en charbon ou en matière première, et l'évacuation des populations et donc de la main d'œuvre, concourt au mieux à un net ralentissement, voire à un arrêt de la production.
A l'issue du conflit, après avoir été imaginée à partir de 1917, la reconstruction entre en phase opérationnelle. Sur l'ensemble du territoire picard, la période est propice à une modernisation de l'outil de production et le phénomène touche tous les territoires, y compris ceux situés plus loin des zones de combat. Toutefois, l'étude privilégie les territoires qui ont été le plus marqués par les destructions de la Première Guerre mondiale et qui délimite une zone s'appuyant sur l'avancée maximale de l’armée allemande en 1914. Cette zone a ensuite été stabilisée, âprement disputé en 1917 et reconquise finalement en 1918. Ce territoire d'étude couvre donc l'ensemble du département de l'Aisne, une partie de l'est du département de la Somme, jusqu'à Albert et Amiens, ainsi que le nord-est du département de l'Oise, jusque Breteuil et Creil. Cet espace couvre par ailleurs des foyers industriels importants comme le Saint-Quentinois, le Chaunois, la vallée de l'Oise qui mène au bassin creillois, et qui ont été l'objet de destructions massives durant le conflit et dont les principes de la reconstruction sont particulièrement intéressants à observer.
Au sein de cette vaste zone, l'étude se concentre sur le Chaunois, qui, en 1914, constitue déjà un espace industriel important. A l'époque, ce développement économique est principalement dû au réseau de voies de communication fluviales et ferroviaires qui assurent l'approvisionnement en charbon depuis le Nord, et, en aval, l'écoulement de la production vers l’Ile de France et Paris. Ce foyer industriel, voué principalement à la chimie (Chauny), à l'industrie verrière (Saint-Gobain, Folembray) et à l'industrie sucrière (Les Michettes, Blérancourt) se retrouve dès 1914 au cœur d'une des zones de combats les plus intenses de la Première Guerre mondiale. Aucune de ces usines ne résiste au pilonnage massif dont elles sont la cible. La reconstruction qui suit pose ainsi toutes les problématiques d'un territoire à reconstruire dans son ensemble, et dont l'industrie ne constitue qu’un aspect. Cet aspect est toutefois jugé prioritaire et détermine la manière dont la Reconstitution ou la Reconstruction s'opère.
- Périodisation
Les limites chronologiques de l'étude s'étendent de 1919 à 1931. Même si les contours de la Reconstruction se dessinent dès 1915 avec notamment les architectes Alfred Agache, Jacques Aubertin et Edouard Redont qui publient Comment reconstruire nos cités détruites, dans lequel ils voient dans les destructions de la guerre une opportunité de bâtir un nouveau paysage architectural, plus moderne, ou qu'en 1917, les premières structures d'aide comme l'Office de la Reconstruction industrielle (ORI) sont mises en place, il faut véritablement attendre la signature de l'armistice en novembre 1918 et la définition du cadre d'indemnisation des bien endommagés par faits de guerre, votée en avril 1919, pour que la reconstruction ne passe en passe opérationnelle. Dans ce contexte, l'industrie est, avec l'agriculture, le premier secteur à bénéficier des aides financières. C'est par elle que passe le redressement du pays, et de la région picarde en particulier. En toute logique, c'est aussi un des premiers secteurs à achever sa reconstitution vers 1926-1927. A partir de là, une seconde phase, moins dense, s'ouvre avec la construction d'usines qui répondent à des besoins localisés et qui vont présenter des partis architecturaux plus proches des principes modernes, en utilisant par exemple davantage le béton. Cette seconde phase s'achève vers 1931, et avec elle la Reconstruction de l'industrie en Picardie. Entre 1919 et 1931, un nouveau paysage industriel et un nouveau socle économique et urbain se dessinent pour la Picardie. Cette période constitue donc la période de référence de l'étude. Toutefois, au-delà de ces limites chronologiques, le contexte de la réflexion et de la définition du cadre d'indemnisation des sinistrés qui précède sera pris en compte, ainsi que les phases d’achèvement de travaux postérieurs à 1931.
- Les formes du bâti
Après quatre années de guerre, l'industrie picarde est quasiment anéantie. L'industrie sucrière, fortement implantée dans le département de l'Aisne et dans l'est de la Somme, est sans aucun doute le secteur le plus touché. De même, la bonneterie dans le Santerre ou la guipure saint-quentinoise, les brasseries ou les minoteries sont été rayées du paysage industriel picard.
Toutefois, la guerre a aussi consacré des secteurs industriels appelés à un développement important et durable. C’est le cas de l'industrie des transports, avec les secteurs de l'aéronautique (Potez à Méaulte) et de l'automobile (Brissonneau & Lotz à Creil), qui tend à devenir un produit de masse. Avec elle, la construction mécanique, déjà investie dans la production et l'assemblage de machines équipant les usines, devient un secteur stratégique de la Reconstruction. Il s'appuie sur un fort réseau d'entreprises sous-traitantes et s'entoure d'entreprises de pneumatiques (Wolber à Soissons, Englebert à Clairoix) qui s'installent en Picardie à cette époque.
En revanche, si les entreprises du bâtiment (briqueteries cimenteries) accompagnent naturellement la Reconstruction, leur existence ne dépasse rarement cette période. La grande cimenterie d'Origny-Sainte-Benoite qui deviendra la troisième cimenterie du nord de la France ainsi que quelques briqueteries, comme celle du Mont Renaud à Noyon, font figure d'exception.
Enfin, le secteur de la chimie, qui était déjà bien implanté dans la vallée de l'Oise notamment, s'est révélé aussi être un secteur stratégique avec le conflit. En l'espace de quelques années les entreprises de ce secteur rattrapent leur retard et se dotent après guerre d'un outillage performant qui profite à tous les autres secteurs, et en particulier à l'industrie pharmaceutique, photographique ou au secteur de la parfumerie. Elle permet également le renouvellement de l'industrie textile, avec l'arrivée de nouvelles matières synthétiques, comme la viscose ou le tergal. Dans cette dynamique, la vallée de l'Oise renforce sa position avec l'arrivée d'entreprises puissantes. De nombreux sites industriels repérés ou étudiés lors des précédentes campagnes de recensement et d'étude du patrimoine industriel menées par le service de l'Inventaire, depuis 1983 dans la Somme et l'Oise (en particulier l’arrondissement de Compiègne), constituent un premier corpus de référence.
- Les raisons scientifiques de l'aire d'étude
L'échelle régionale met en évidence les grandes filières industrielles qui se recomposent en Picardie après le conflit. Parmi elles, les plus significatives sont l'industrie agro-alimentaire, la construction mécanique et l'industrie chimique. Elles constituent un corpus intéressant à étudier car elle représentent des secteurs traditionnels ou particulièrement innovants.
Le Chaunois, par ses caractéristiques infrastructurelles existantes avant le conflit, est un territoire industriel important de la Picardie, qui repose sur la construction mécanique, l'industrie verrière et l'industrie sucrière. Il se retrouve au cœur des zones de combats les plus intenses et voit son industrie littéralement anéantie. Dès le retour de la paix, la reconstitution de l'économie du Chaunois est une priorité. La reconstruction des usines dans ce secteur, sur les ruines mêmes des édifices antérieurs, ou plus près des infrastructures de communication, ou encore leur non reconstruction, constituent autant de choix qui modèlent un nouveau paysage industriel, dont l’économie actuelle a également hérité.
L'étude permettra de produire des synthèses régionales sur les caractéristiques du territoire.
b. - Les enjeux scientifiques
- Intérêts scientifiques de l'opération
En Picardie, la recherche historique liée au premier conflit mondial est active par le biais du Centre d'Histoire des sociétés de l’Université de Picardie Jules Verne, dont les travaux sont régulièrement publiés dans le Bulletin du Centre d’Histoire des Sociétés ou aux Editions Ancrage. Cette recherche couvre une période plus large que celle de la Première Guerre mondiale et s'y intéressent surtout sous l’angle historique ou économique. Par ailleurs, jusqu'alors, les recherches se concentrent essentiellement sur les phénomènes guerriers et trop peu encore sur leurs conséquences.
La Reconstruction proprement dite a certes fait l'objet d’études globales ou générales, mais pas spécifiquement pour le secteur de l'industrie. En Picardie, seule une thèse a été consacrée récemment à la Reconstruction du Chemin des Dames de 1919 à 1939.
Or, la reconstruction industrielle n'a pas seulement été un phénomène historique. Elle a aussi été un phénomène architectural sans précédent, tant dans la modernisation de l'outil de production que dans les questions que les ingénieurs et architectes se sont posés sur les partis pris stylistiques, sur la rationalisation de l'espace, sur l'emploi de nouveaux matériaux. Au moment où la profession d'architecte s'organise et se structure, les architectes rivalisent avec les ingénieurs et étendent leur champs au-delà des sites de production. Sur ces zones de no man’s land, on fait appel à eux pour construire les premiers logements destinés aux ouvriers et parfois pour une partie de leur nouveau cadre de vie.
En intégrant ces différentes problématiques étendues à l'espace urbain, c'est une nouvelle manière d'aborder l'objet même du patrimoine industriel qui est proposée. L'angle d'étude architectural et urbain, qui complète les connaissances historiques et économiques que l'on possède déjà pour la Picardie, constitue le premier intérêt scientifique.
Le second intérêt est de mettre en évidence le phénomène de concentration économique, financière et industrielle, qui était finalement le seul moyen de redresser l'industrie régionale. La détermination de certains industriels à réinventer de nouveaux modes de fonctionnement dans le respect du cadre législatif imposé par la charte des sinistrés a concouru à dessiner une nouvelle carte de l'industrie régionale.
- Problématiques scientifiques
La Reconstruction industrielle a été l'occasion d'une modernisation sans précédent de l'outil de production, permettant à la plupart des secteurs de retrouver très rapidement les niveaux de production qu'ils avaient avant-guerre. Les raisons de ce phénomène sont multiples : la première est sans doute la priorité accordée par l'État à la reconstitution industrielle et agricole pour redresser le pays. Toutefois, elle ne saurait s'expliquer sans l'investissement des industriels eux-mêmes, et leurs capacités à imaginer leur restructuration économique. La plupart des filières industrielles ont réussi réduire leur nombre, afin de mutualiser leurs moyens et se moderniser. Pour autant, ce phénomène qui a permis un gain de productivité, s'est-t-il déroulé de manière identique dans les secteurs traditionnels et anciens, comme l'industrie textile ou l’industrie sucrière, que dans ceux que la guerre a propulsés au rang de filières innovantes et prometteuses ? L'industrie agro-alimentaire, et plus spécifiquement l'industrie sucrière, mais aussi l'industrie chimique et l'industrie de la construction mécanique et des transports sont les trois axes privilégiés pour observer cette mutation. Au lendemain de la guerre, un nouveau paysage industriel se dessine, rapidement mais de manière solide, au point qu'aujourd'hui encore ces secteurs forment un triptyque structurant et significatif de l'industrie picarde.
L'autre problématique est celle du rôle des industriels et des architectes qui, tout en créant les bases d'une industrie aux formes architecturales tantôt identiques, tantôt renouvelée et moderne, ont œuvré dans la reconstitution urbaine des villes et des villages. Ils n'ont pas seulement été les instigateurs d'une relance économique en (re)construisant de nouveaux lieux de production, ils ont aussi souvent jeté les bases d'une réflexion sur la place de l'espace industriel dans le tissu urbain. Quand auparavant, l'industrie s'était immiscée dans une trame urbaine constituée ou qu'elle avait été reléguée en périphérie urbaine en raison des nuisances qu'elle pouvait provoquer pour son entourage, désormais elle se place en première ligne des territoires à reconstituer avec un rôle déterminant. A l'image d'un esprit paternaliste qui avait généralement entouré les usines de la seconde moitié du XIXe siècle, celles de la Première Reconstruction s'entourent d'une forme d'esprit patriotique qui, sur fond de procédures d'indemnisation de dommages de guerre, conduit les industriels à œuvrer dans la construction de logements ouvriers, de cités destinées aux ouvriers et employés d'usines, mais aussi d'équipements collectifs ou de lieux de sociabilité qui profitent à toute la population. Ainsi la reconstruction industrielle ne semble pas seulement être la reconstitution des lieux de production, mais l'amorce d'une reconstruction globale dans laquelle les industriels prennent une part active.
Enfin, la dernière problématique est associée directement au Pays du Chaunois qui fait l'objet d'un traitement particulier. Le territoire, marqué par un réseau de communication ferroviaire et fluvial relativement dense avant 1914, est aussi un des foyers industriels important de la région. Complètement anéanti par le conflit, il constitue à lui seul un terrain d'expérimentation du redressement industriel qui s'opère après 1919. Quels sont les secteurs qui se maintiennent ? Ceux qui disparaissent ? Et pourquoi ? L'identité industrielle de 1914 est-elle identique à celle de 1930 ? Autant de questions que cette approche topo-thématique élève en problématique d'étude spécifique à un territoire emblématique.
- (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
- (c) Département de la Somme
- (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
- (c) Département de l'Aisne
- (c) Communauté d'agglomération et ville de Saint-Quentin
- (c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
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- (c) Département de l'Oise
- (c) Communauté de l'Agglomération Creilloise
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Documents figurés
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[Sailly-Saillisel, l'usine Tripette et Renaud, en cours de construction], photographie, [1922] (Archives privées).
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[La fonderie reconstruite]. Plaque de verre, 18 x 24 cm, [1919-20] (AD Aisne ; 20 Fi 316 : Reconstruction industrielle de l´Aisne (plaque de verre) : Saint-Quentin).
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[Les ateliers en cours de construction], photographie, 1922 (AC Thourotte ; archives photographiques de l'entreprise).
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[La cité ouvrière avec au premier plan la chapelle], photographie, 1922 (AC Thourotte).
Chercheur de l'Inventaire du patrimoine - Région Hauts-de-France
Chercheur de l'Inventaire du patrimoine - Région Hauts-de-France