1) Conditions et objectifs de l´enquête
Partenaires scientifiques, politiques, cadre institutionnel
Cette étude, dont l´initiative revient au service Régional de l´Inventaire, a été menée de 2004 à 2005 par Catherine Fourmond, puis de 2005 à 2007 par Inès Guérin, toutes deux chargées de mission au SMACOPI (Syndicat Mixte pour l´Aménagement de la Côte Picarde). L´étude a été financée par l´Etat et le SMACOPI, et les photographies professionnelles par le Conseil Général de la Somme. Ces dernières ont été réalisées par Marie-Laure Monnehay Vuillet, photographe à l´AGIR-Pic (Association pour la Généralisation de l´Inventaire de Picardie), et Irwin Leullier, également photographe à l´AGIR-Pic puis photographe indépendant. Les photographies de terrain ont été faites par Catherine Fourmond et Inès Guérin. Le travail d´inventaire a été suivi et contrôlé par Christiane Riboulleau, Hélène Schill-Fenninger et la cartographie par Isabelle Barbedor.
Enjeux de l´enquête
L´exode rural, le développement de grandes exploitations agricoles, l´inadaptation des bâtiments anciens aux besoins d´aujourd´hui, la pression immobilière menace le patrimoine de l´arrière-pays maritime. Depuis la création de l´autoroute A16 et l´ouverture de l´échangeur de Forest-Montiers, les communes littorales subissent une pression touristique grandissante. Une urbanisation galopante non maîtrisée risque d´aboutir à la dénaturation du patrimoine rural traditionnel, voire à sa disparition. Légitimée par ces constats, cette étude tente d´établir, tant qu´il en est encore temps, un inventaire des bâtiments rencontrés sur le territoire étudié.
Limites chronologiques de l´étude
La limite post quem de l´étude est fixée au début des années 1960, date à laquelle le torchis est remplacé par des matériaux plus modernes tels que le parpaing ou le ciment.
Délimitation de l´aire d´étude
La première phase de l´étude menée par Catherine Fourmond correspondait à un rapide repérage dans 19 communes situées autour de la Baie de Somme : Fort Mahon, Quend, Saint-Quentin-en-Tourmont, Rue, Le Crotoy, Favières, Ponthoile, Noyelles-sur-Mer, Port-le-Grand, Saigneville, Boismont (Pinchefalise), Mons-Boubert, Arrest, Estréboeuf, Saint-Valery-sur-Somme, Pendé, Lanchères, Cayeux-sur-Mer, Brutelles. Toutes étaient impliquées, dans un délai plus ou moins proche, dans le « Projet Grand Site » dont un des objectifs est de mettre en valeur le patrimoine naturel et architectural de l´arrière-pays maritime.
Après le départ de Catherine Fourmond, l´aire d´étude a été réduite à 13 communes, immédiatement limitrophes du littoral, traitées plus ou moins totalement.
Dans le Pays du Marquenterre : Saint-Quentin-en-Tourmont, Favières, hameaux et fermes isolées de Quend, fermes isolées de Fort-Mahon, fermes isolées du Crotoy,
Dans le Pays du Ponthieu : Ponthoile, Noyelles-sur-Mer, Port-le-Grand,
Dans le pays du Vimeu : Boismont, Estréboeuf, Pendé, le hameau de Wathiéhurt sur la commune de Lanchères, le hameau de Hurt sur la commune de Cayeux.
Volontairement et faute de temps, dans certaines communes, seuls les isolés et les écarts ont fait l´objet d´une étude, le reste du territoire possédant un patrimoine davantage orienté vers la villégiature, ce dernier ayant été analysé dans le cadre du recensement du patrimoine balnéaire de la côte Picarde.
Objet de l´étude
Le repérage prend en compte l´ensemble du bâti, qu´il soit agricole, domestique, religieux, communal. Mais les fermes représentent le corpus le plus important, dans cette région où l´élevage et la culture sont les principales ressources. Le bâti se traduit par des formes d´implantation diverses, une utilisation de matériaux variés qui se déclinent en de multiples combinaisons suivant le terrain où l´on se trouve. Malgré tout, des similitudes s´observent en raison d´une topographie identique, qu´on se situe au nord ou au sud de la baie de Somme. Le territoire étudié n´ayant pas subi les destructions lors des deux dernières guerres, l´architecture traditionnelle a surtout été modifiée par l´introduction des techniques agricoles modernes. Si l´architecture à vocation agricole domine ce paysage rural et constitue également la trame de tous les hameaux et villages, elle s´enrichit de nombreuses autres formes architecturales structurantes comme les bâtiments communaux, les cafés, les oratoires, l´architecture domestique non englobée dans la fonction agricole.
Enfin, l´architecture de villégiature a fortement laissé son empreinte dans les communes bordant la vallée de la Somme sur le passage du Chemin de Fer (Morlay, Favières).
Mode d´approche
La sélection des édifices a été effectuée selon certains critères, édictés par la méthodologie de l´Inventaire. La notion de dossier d´ensemble dans lequel s´inscrivent les édifices est importante : les territoires, les villages, les hameaux.
Afin de mieux appréhender le bâti, il est essentiel de déterminer la naissance et l´évolution du paysage, de définir le mode de groupement de l´habitat et sa logique de développement, de comprendre son organisation, les matériaux utilisés, la fonction des différents bâtiments...
Les dossiers collectifs synthétisent les données communes à chaque famille d´édifices étudiés. Ils s´appuient sur des critères d´analyse recueillis lors du repérage, du type : matériau de construction, nombre de travées, nombre et type des annexes agricoles.
La visite d´un édifice sélectionné et donc étudié, permet de l´approcher au plus près, alors qu´il est parfois difficilement visible depuis la rue, de déterminer le mode de distribution horizontal et vertical, les types d´annexes agricoles, leur fonction et leur aménagement intérieur ainsi que le décor. Elle est l´occasion de découvrir les archives privées, plans, photographies, actes de vente et cartes postales anciennes.
Finalité de l´étude
Cette étude devrait permettre une meilleure connaissance de l´habitat rural picard, tant pour le milieu scientifique que pour le grand public. Elle n´implique a priori pas de protection au titre des Monuments Historiques mais peut signaler un patrimoine à protéger, comme les églises du 16e siècle.
Ses exploitations possibles sont nombreuses : développement de circuits touristiques, réappropriation par les administrés de leur environnement en les sensibilisant à leur patrimoine, outil de gestion urbaine et patrimoniale pour les municipalités (gestion des permis de construire, conservation de l´esprit des villages, etc.).
2) Recherches documentaires
Sources bibliographiques
De grands ouvrages de synthèse ont été réalisés sur la Picardie en général. Albéric de Calonne, dans La vie agricole sous l´Ancien Régime en Picardie et en Artois, offre un « riche tableau de l´agriculture du Nord au 18e siècle (techniques, productions céréalières, élevages et épizooties, progrès) et des classes rurales (propriétaires, fermiers, travailleurs agricoles, conditions de vie) ». Après lui, on peut citer les travaux de référence du géographe et historien Albert Demangeon restent, particulièrement son étude intitulée La Picardie et les régions voisines. Artois - Cambrésis - Beauvaisis.
Un bon nombre de productions littéraires témoignent de l´intérêt des historiens de la seconde moitié du 19e siècle pour l´histoire locale, les coutumes, etc. C´est le courant qu´un de ses protagonistes, Alcius Ledieu, qualifie de « traditionnisme ». Dans ce contexte, le Ministère de l´Instruction publique commande des monographies de villages de la Somme pour la préparation de l´exposition universelle de 1900. L´arrondissement d´Abbeville est malheureusement incomplet. Certaines de ces monographies ont fait l´objet de rééditions contemporaines (ou d´édition pour certaines). Un certain nombre de monographies récentes a également été consulté. Sources imprimées
L´histoire rurale de ce territoire et en particulier de son architecture n´a fait l´objet d´aucune véritable étude de synthèse, malgré les excellents travaux de Robert Fossier (qui offre surtout un regard médiéviste), Jean Cuisenier, François Calame.
Les études menées au cours du chantier 1425 dirigé par le musée des Arts et Traditions Populaires ont permis la constitution d´une documentation considérable. A la suite d´une vaste enquête entreprise à l´initiative de Edmond Humeau et Urbain Cassan sous la direction de Pierre-Louis Duchartre et Georges-Henri Rivière, menée de 1942 à 1945, 1759 monographies d´habitation rurale (plan, coupe, élévation, description), aujourd'hui consultables au musée des Arts et Traditions Populaires, ont été rédigées selon des règles uniformes.
Les érudits de la seconde moitié du 19e siècle appartiennent pour la plupart à une (ou plusieurs) sociétés savantes (dont ils assuraient souvent la présidence), telles que la Société d´Emulation d´Abbeville, la Société des Antiquaires de Picardie, la Société d´histoire et d´archéologie du Vimeu, la Société des Amis des Arts du département de la Somme, les Rosati Picards, etc. Conférences et articles publiés dans des bulletins périodiques contribuent à faire connaître l´histoire, l´archéologie, la littérature, la poésie et les traditions populaires de la Picardie.
Le dépouillement des archives de quelques érudits locaux qui appartenaient aux sociétés savantes a été effectué (fonds Ch. Pinsard, Dubois, conservés à la bibliothèque municipale d´Amiens, fonds Gillard à la Société des Antiquaires de Picardie). Les archives de la Société d´Emulation d´Abbeville ont malheureusement été détruites au cours de la Seconde Guerre mondiale
Enfin, ont été également dépouillés avec profit le fonds des comices agricoles, l´ Almanach historique et géographique de la Picardie, remplacé ensuite par l´ Annuaire administratif et statistique du département de la Somme : riches en informations, ils nous renseignent sur l´architecture liée aux conditions de vie.
Les sources d´archives
Les sources consultables aux Archives Départementales sont principalement des documents écrits (du 17e au 20e siècle) dont la richesse est très variable d´une commune à l´autre.
Seules huit sur les 19 étudiées ont versé leur fonds aux Archives Départementales dans la série E (parmi ces dernières, cinq ont déposé uniquement quelques registres de baptême et délibérations municipales), nécessitant des recherches complémentaires dans les Archives Communales.
La série O (travaux communaux) a fourni l´historique ainsi que les plans des bâtiments communaux, tout comme la sous-série 99 T.
L´exploitation des archives ecclésiastiques (série V) a permis de retracer plus précisément l´évolution des édifices religieux, notamment par la lecture du cahier de délibérations de la Fabrique.
Le dépouillement des matrices cadastrales et états de sections (sous-série 3 P) a été fort précieux. Ces documents indiquent les noms des lieux-dits ou des fermes isolées parfois oubliés aujourd'hui. Ils permettent également de situer les édifices disparus ou la présence d´une culture abandonnée, de reconstituer l´évolution de l´économie agricole, de suivre les étapes successives de la transformation du terroir et l´évolution de la propriété foncière, de redéfinir la disposition des champs, de déterminer la date de construction des édifices à trois ans près (seulement à partir de 1880, elle a donc été peu utilisée ici) ainsi que la profession des propriétaires. Les données ont été analysées dans Excel sous forme de graphique.
La lecture des statistiques napoléoniennes (série M, sous-série 99 M) a permis de dresser un état des lieux de l´agriculture, des recherches et évolutions qui lui sont liées tout au long du 19e siècle.
Le dépouillement des archives privées (série J) a parfois été intéressant, notamment en ce qui concerne les châteaux, les manoirs et rendez-vous de chasse. Cette série reste toutefois modeste.
Parmi les sources consultées dans les archives communales, les cahiers de délibérations des Conseils Municipaux ont fourni de nombreuses informations sur l´histoire des bâtiments communaux et sur l´évolution sociale des habitants. Les communes conservent très souvent un double du recensement de la population (consultable également aux Archives Départementales dans la série M) qui permet d´analyser les variations de population et de profession, témoignant de l´évolution du bâti.
Sources figurées
Les sources iconographiques sont loin de constituer une documentation homogène.
La superposition des cadastres anciens (napoléonien vers 1830 et révisé vers 1880, mais bien souvent peu fiable) et actuel permet de déterminer l´évolution du bâti (extension ou diminution des bâtiments) et son implantation au sein du village.
Les cartes des 18e et 19e siècles (série Fi ou RL aux Archives Départementales ou aux Archives Nationales) permettent de reconstituer les limites domaniales anciennes (fiefs ou autres) qui lient les domaines seigneuriaux, en les introduisant dans une approche territoriale historique. Elles invitent également à comprendre l´évolution du bâti.
La collection Macqueron à la Bibliothèque Municipale d´Abbeville comporte des dessins représentant les monuments les plus remarquables tels que les églises, les demeures imposantes ou les édifices au 19e siècle (vers 1865). Ces représentations sont extrêmement intéressantes car elles permettent de connaître l´aspect des bâtiments disparus ou l´état primitif des édifices.
Les cartes postales anciennes permettent de connaître l´état du bâti au début du 20e siècle et d´en analyser l´évolution.
Nous tenons à remercier les propriétaires et collectionneurs, qui ont bien voulu nous montrer leurs fonds et nous ont permis de les photographier, ainsi que les habitants qui nous ont communiqué leurs archives et fait part de leurs souvenirs.
3) Données géographiques et historiques
L´arrière-pays maritime présente un ensemble de terres basses, isolées naturellement ou artificiellement de la mer par un cordon de galets et par des digues appelées localement renclôtures. Il est limité, au nord, par la Basse Vallée de l´Authie et, au sud, par la Basse Vallée de la Bresle. A l´est, il s´arrête à la falaise morte, c'est-à-dire l´ancien cordon littoral, tandis que la Manche en constitue la limite occidentale.
Sur le terrain étudié, deux baies s´ouvrent largement vers la mer : la baie de Somme (d´une superficie de 70 km² comprise entre le Hourdel et Saint-Valery, Noyelles et le Crotoy, qui regroupe l´estuaire de la Somme, du Dien et de la Maye) et celle de l´Authie au nord du département (d´une superficie de 1300 ha).
Le paysage qui naît de la rencontre du fleuve et de la mer est marqué par le rythme des marées et présente deux milieux différents : les bas-champs (zone de vasière recouverte à chaque marée) et les molières ou prés salés (envahis uniquement par les marées de fort coefficient), tous deux séparés par des digues artificielles. Au sud, le paysage se partage entre les Bas Champs de Cayeux et le plateau du Vimeu, offrant une étendue de terres plus vallonnées.
Pour échapper aux inondations, les habitants ont installé leur village au pied des coteaux (Port-le-Grand), lieux de passage des voies de communication routières et ferrières, ou au sommet des digues naturelles (Favières). Sous l´impulsion des puissantes abbayes (Valloire, Saint-Valery, Saint-Riquier), des digues sont élevées, dès 1163, afin de gagner des terres sur la mer. Ces travaux de protection des terres contre l´incursion des eaux se poursuivent tout au long du Moyen Age.
Un autre ensemble de renclôtures, établi au-delà des premières digues médiévales, est édifié par l´homme dès le milieu du 18e siècle, délimitant des zones de polders, cultivées ou pâturées. L´influence lointaine de la mer y est révélée par les nombreux chenaux qui le parcourent. Le milieu apparaît comme une vaste mosaïque de plans d´eau à franges marécageuses, dispersés dans un complexe de prairies humides. L´activité cynégétique et l´élevage y prédominent largement.
Au 18e siècle, la construction de canaux (celui de la Somme et celui de Lanchères) achève de compléter le système de drainage des terres sur tout le territoire.
La baie de Somme, lieu d´échange entre mer et arrière pays, a favorisé l´implantation de sites urbains liés au commerce maritime : le Crotoy et le Hourdel, Saint-Valery.
Le phénomène naturel du comblement de la baie, lié à la remontée du niveau de la mer depuis 10000 ans a été accentué depuis deux siècles par une série d´interventions humaines (fixation du chenal de marée entre 1841 et 1965, digue du chemin de fer en 1854, accélération des renclôtures vers 1850...). Tous ces facteurs d´ensablement ont contribué à la fermeture des estuaires, à l´élévation des fonds, à l´extension des molières. Ce phénomène d´ensablement est moins rapide en baie d´Authie qu´en baie de Somme où le cours d´eau est moins important. La baie d´Authie couvrait pourtant au 16e siècle plus du double de sa superficie actuelle.
Chercheur de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, région Hauts-de-France.