La carte de Cassini indique très clairement le contexte naturel au milieu du 18e siècle : un massif dunaire longeant le territoire à l´ouest, la baie de Somme et les marais arrières littoraux du Marquenterre, traversé par la Maye.
La marche des dunes dans cette zone particulière rend l'histoire du territoire assez complexe, reflétant un village déstabilisé par l'évolution naturelle du littoral. En effet, d'après Demangeon et Darsy : "Le curé disait en 1728 que le tiers de sa dîme était perdu par suite de l'invasion des champs par le sable. Une enquête faite dans le pays en 1786 apprit, de la bouche des vieillards, que les habitants de Saint-Quentin en étaient à leur troisième église et que le village, chassé par les sables, avait été déjà démoli et reconstruit plus loin ». En effet, la carte de Cassini (vers 1756) indique l´ancien emplacement du village en bordure de mer. De plus, la date de construction de l´église (1779) permet de dater le déplacement du village.
Au milieu du 19e siècle, les dunes avaient largement progressé vers l´est et la Baie de Somme s´était ensablée.
Limites administratives
Louandre indique que la banlieue de Saint-Quentin, « bornée au nord par l´Authie, au sud par la banlieue de Rue, s´étendait à l´est jusqu´au fief de Villers et à l´ouest jusqu´à la mer ».
L´occupation humaine traduit deux préoccupations, d´après la carte de Cassini : celle de la défense militaire d´une façade littorale avec une succession de trois corps de garde et d´autre part, la vocation agricole de la région avec l´indication d´une série de fermes et moulins isolés.
De nombreux lieux-dits apparaissent en 1756 : la Verdurette (justice maison, aujourd´hui disparu), Petite et Grande Pastures (justices maisons), la Violette (justice maison et moulin à vent, aujourd´hui disparus), l´Eclusé (idem), le Bout des Crocs (hameau sans église), Quenquenoi (justice maison, aujourd´hui ferme), la Haye Pené près d'une écluse (hameau sans église, aujourd´hui ferme), la Margueritel (justice maison, aujourd´hui ferme), le Platon (justice maison), Froise (hameau sans église, aujourd´hui sur le territoire de Quend), le Bosquet (justice maison).
Le cadastre napoléonien (1826) complète cette vision du territoire, composé de deux entités : le village et le hameau du Bout des Crocs, ainsi que d´une multitude de fermes isolées au coeur des bas-champs. Le sud-ouest du territoire a été ajouté à la commune après 1832, c´est pourquoi la Haie Penée, la Pâturette, les Clière n´apparaissent pas sur le cadastre. Dans le recensement de population, le Fort-Mahon faisait partie du territoire jusqu´en 1881 mais ne figure pas sur le cadastre napoléonien. Le territoire de Saint-Quentin varia ainsi de superficie : en 1836, il comptait 3259 ha, 3289 en 1899 pour atteindre 2421 dès 1911.
Le port de Saint-Quentin-en-Tourmont
L´existence d´un port à Saint-Quentin-en-Tourmont est attestée dans les textes dès le 9e siècle (Louvencourt). D'après Dufételle, le village accueillait, encore en 1754, des bateaux de pêche. Un endroit propice pour recevoir les bateaux devait sans doute exister au lieu-dit « Le Grand Gouffre », aujourd´hui à plus d´un kilomètre de la mer. Situé à l´embouchure de la Maye, le port aurait été créé afin de remplacer celui de Rue dont l´entrée se fermait par l´apport d´alluvions. Il semble pourtant ne pas avoir une grande importance. Il s´agissait probablement d´une crique naturelle où les pêcheurs retiraient leur bateau pour les protéger de la tempête. Progressivement des bancs de sable et des dunes se formèrent au large, achevant d´en obturer la sortie. Le port fut ainsi définitivement abandonné au 18e siècle. La pêche occupait pourtant encore au milieu du 20e siècle quelques habitants du Bout des Crocs.
Evolution démographique
En 1800, le territoire rassemblait 551 individus. Ce chiffre diminua au cours du premier quart du 19e siècle pour atteindre les 534 habitants en 1836. Stagnante jusqu´au milieu du 19e siècle, la population chuta à 345 habitants à la fin du 19e siècle pour ensuite retrouver le chiffre de 500 âmes en 1906. A partir de cette date et jusqu´en 1936, la population ne cessa de diminuer pour atteindre les 339 habitants. Selon Pinchemel, la commune perdit 23 % de sa population au cours de la période étudiée (1836-1936).
Tout au long du 19e siècle, le chiffre des constructions resta stable, aux alentours d´une centaine (sauf une baisse importante entre 1800 et 1836 passant de 98 à 86 maisons, sans doute liée à la chute démographique). Le chiffre ne cessa d´augmenter jusqu´en 1906 (122 maisons), puis diminua à nouveau jusqu´en 1936 (94), suivant ainsi la courbe sinusoïdale que dessinait l´évolution de la population.
Revenus communaux
A la limite des 18e et 19e siècle et ce, jusqu´au début du 20e siècle, Saint-Quentin disposait d´un moulin à vent mais était dépourvu de moulin à eau.
Les dunes, autrefois à usage de garenne, servaient au 18e siècle de pâturage au bétail. Afin de les étendre davantage, la commune avait émis le projet de fixer les dunes par la plantation d´oyats. L´importante superficie du massif sableux donnait à la commune au milieu du 20e siècle la ressource d´exploitation d´arbres nombreux, qui fut d´ailleurs anéantie par les Allemands au cours des années d´occupation.
Evolution de l´économie
D´après le recensement de population, en 1836, les professions les plus rencontrées étaient domestique, cultivateur, serrurier, journalier, ouvrier, berger, pêcheur, marin, charron ménagère, tailleur d´habit, cabaretière, fileuse, douanier, coutrière, cordonnier, manouvrier.
Sur le canton de Rue, d´après Pinchemel, « l´artisanat textile représente 80% des effectifs industriels de 1836 avec 374 artisans. Favières et Saint-Quentin ont de 10 à 30 artisans textiles. Ces artisans sont surtout des tisserands et des badestamiers mais il y a aussi des fileuses et quelques artisans spécialisés. Ils travaillaient pour deux fabricants de bas de Quend et de Rue. Il est très vraisemblable que la situation de 1836 reflète un artisanat déjà en déclin ».
Peu à peu, la diminution de l´artisanat engendra l´augmentation du nombre d´exploitations par la conversion des artisans en paysans. Le nombre de fermes passa de 7 à 34 entre 1836 et 1911 pour diminuer à 18 en 1945. L´évolution du nombre des ouvriers agricoles est liée à celle du nombre d´exploitations (de 40 à 124 entre 1836 et 1911).
La surface totale des terres de la commune (2359 ha) était répartie pour plus de la moitié en dunes, le reste étant occupé par les prés, les terres à labour et les bois dans une proportion à peu près égale.
Le graphique présentant l´évolution de la culture sur le territoire entre 1853 et 1945 indique l´abandon de certaines plantes, telles que la chicorée, le froment et le méteil et, au contraire, l´apparition d´autres (pomme de terre, betterave, légumes verts en quantité importante). La superficie des prairies avait largement diminué alors que la surface consacrée à l´avoine avait quasiment doublé. Dans les années 1920, on cultivait également sur le territoire tomates et endives en serres, ainsi que artichauts, poireaux et choux fleurs. La culture des artichauts (107 ha) se développa sur la commune en raison de la présence de terres argileuses sous l´impulsion de Henri Jeanson, grand propriétaire. En 1945, la superficie cultivée (sur un total de 273 hectares de terres labourables) comportait essentiellement du blé, de l´avoine et des betteraves industrielles et fourragères. Les autres plantes étaient cultivées de manière parcimonieuse (lin, légumes verts, seigle, orge).
Concernant l´évolution des espèces animales sur le territoire, il est flagrant, d´après le graphique, de voir que le nombre des bovins augmenta largement entre 1911 et 1918, alors que les ovins ont quasiment disparu. L´élevage devint donc au milieu du 20e siècle de plus en plus important dans la commune, c´est pourquoi on préféra convertir les champs en pâture.
Saint-Quentin ne disposait pas d´un accès direct à la mer. Le développement touristique de la commune se fit donc avec la création du parc ornithologique, créé au début des années 1960. Ce polder à vocation agricole fut aménagé en 1973 et acquis par le Conservatoire du Littoral en 1987. Le Domaine du Marquenterre a été créé en 1923 par Henri Jeanson, industriel parisien. Il fixa les dunes par des plantations de pins.
Chercheur de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, région Hauts-de-France.