Synthèse des observations sur les maisons-fermes
Le canton d´Aubenton a été très marqué par les activités rurales et agro-alimentaires aux 19e et 20e siècles. Sa principale activité agricole a été l´élevage bovin, surtout au 19e siècle, puis le canton a connu au 20e siècle un développement important de la polyculture (en particulier les céréales).
Le paysage bocager qui semble être immémorial, bien qu´il soit en train de disparaître actuellement par le biais du remembrement, date principalement du 19e siècle.
La norme de la taille des exploitations est celle de petites et moyennes unités, peu de grandes exploitations ont été recensées et elles restent des exceptions.
Bilan général
L´habitat en pan de bois et torchis date majoritairement du 19e siècle (seuls quelques logis ou dépendances agricoles en pan de bois et torchis semblent dater du 18e siècle : Coingt, Jeantes, Landouzy-la-Ville, Martigny), mais il est très dénaturé.
Quant à l´habitat en brique ou pierre calcaire, il est relativement important avant le 19e siècle. Cependant, à l´exception des caves ou souterrains refuges d´Aubenton, aucun habitat antérieur au 16e siècle n´a été recensé, et l´habitat ancien date majoritairement des 17e et 18e siècles (Aubenton, Leuze, Martigny, Logny-les-Aubenton, Jeantes, Landouzy-la-Ville et surtout Any-Martin-Rieux où plus de 40 % de l´habitat paraît dater du 18e siècle (linteaux délardés). En revanche, l´hôtel d´Aubenton avec son décor de bustes féminins et masculins en médaillon date du 16e siècle.
A partir de la deuxième moitié du 19e siècle, l´habitat en brique a remplacé le pan de bois et torchis.
Typologie des matériaux employés
Le pan de bois et torchis est toujours accompagné d´essentage d´ardoises ou de planches, et le torchis est généralement pourvu d´un enduit.
L´essentage de planches concerne rarement la totalité des élévations du logis, mais plutôt les murs pignons, et les élévations postérieures. Les planches peuvent être assemblées horizontalement (plus de 90 %) ou verticalement, mais ce dernier cas est plus rare et n´a été rencontré que sur la commune de Coingt et d´Iviers. Cet essentage de planches est parfois remplacé par de l´essentage en matériau synthétique (ardoise synthétique ou plaques de Fibrociment).
On note la présence de pierre bleue en entourage des ouvertures (baies et portes), majoritairement pour l´habitat du 19e siècle en brique. Il n´y a pas, en revanche, d´utilisation de la pierre bleue comme matériau pour les élévations. Un seul édifice, le présumé presbytère de Leuze, datant du 18e siècle, en pierre calcaire, présente un encadrement de ses ouvertures en brique formant un motif décoratif en « escalier », très proche de la typologie qui se rencontre sur les communes voisines du canton d´Hirson.
La répartition des matériaux entre pan de bois-torchis/brique/calcaire est très marquée entre les communes au nord de la rivière du Thon où prédomine quasi exclusivement la pierre calcaire (Any-Martin-Rieux, Aubenton, Leuze, Martigny et Logny) et celles qui se trouvent au sud. La rivière constitue indéniablement la frontière ; les communes dont le territoire s´étend sur les deux « rives » de celle-ci montrent la même séparation entre le nord et le sud (Martigny, Logny), l´exemple le plus caractéristique étant Martigny. La principale cause en est probablement la présence au nord du Thon de carrières de pierre à Any-Martin-Rieux et Martigny, Aubenton. On en prendra pour témoins les nombreux noms de lieux-dits en relation avec le sujet : « la carrière », « les carrières », « la fosse ».
A partir du milieu du 19e siècle, et le phénomène est général, la brique tend à remplacer le pan de bois et torchis mais reste cependant minoritaire dans les zones où prédomine la pierre (Any-Martin-Rieux, Leuze, communes ou territoire de communes situées au nord du Thon : Martigny, Aubenton, Logny-lès-Aubenton. Cependant, le pan de bois et torchis reste employé tout au long du 19e siècle, même si souvent le logis est partiellement construit ou reconstruit en brique (l´élévation postérieure reste souvent en pan de bois, les autres dépendances agricoles et surtout la grange demeurent également en pan de bois et torchis.
Typologie des datations portées
Les datations portées sont assez fréquentes dans le canton et utilisent des procédés divers. Elles ne remontent pas au-delà du 17e siècle.
Le fer d´ancrage est utilisé dès le 17e siècle : Aubenton (1642 et 1664), Logny-lès-Aubenton (1609), Landouzy-la-Ville (1647), une maison de Landouzy porte une double datation (1776) à la fois en fer d´ancrage et en inscription gravée sur le linteau de l´encadrement de la porte en pierre bleue ; c´est aussi la seule maison-ferme du canton d´Aubenton à comporter une double datation.
Les fers d´ancrage sur le canton d´Aubenton ne comportent pas d´inscription, à l´inverse de certains fers d´ancrage du 17e ou18e siècles comportant souvent des extrémités recourbées ou en forme de fleur de lys.
La présence de fer d´ancrage s´accompagne fréquemment de lettres ou d´initiales qui sont généralement celles du propriétaire ou du constructeur.
La brique vernissée est également utilisée de cette manière : outre les datations sur les églises de Besmont et Leuze, ce type se retrouve aussi sur de l´habitat rural mais, semble-t-il, est toujours lié à un habitat de niveau social élevé, pour un manoir ou le logis d´une ferme de propriétaire foncier important : par exemple, la ferme de Jeantes-la-Cour (1623 et 1627), Landouzy-la-Ville (1803 et 1810), château de Beaumé (1776). Ce type de datation encore présent au début du 19e siècle semble disparaître au cours du 19e siècle et du 20e siècle, car aucun exemple n´a été en effet recensé. On soulignera un exemple unique de datation sur une ferme à Jeantes : sur le mur pignon, par le jeu d´une modénature en brique en relief, on retrouve, outre des décors géométriques, les initiales L.G. (celles du propriétaire Gustave Loriette) et la date de 1902.
On peut trouver également une datation par essentage d´ardoise, mode de datation obtenu par le jeu de l´emploi d´ardoise de couleurs différentes formant des chiffres. Aubenton présente plusieurs exemples de ce type de datation, toujours sur la demi-croupe du logis (Iviers) ou de la grange (Jeantes, Martigny). Sont ainsi datées la ferme du hameau de Corneaux à Iviers (1825), de Martigny (1824) et Jeantes (1821).
L´utilisation d´une inscription gravée ou sculptée pour dater le bâtiment se trouve sur de nombreuses fermes ; la présence de date sur bas-relief est souvent accompagnée d´un décor figuré ou ornemental. Une ferme à Martigny comporte une datation utilisant le calendrier révolutionnaire : « L´An 13 ».
Quelques exemples montrent la diversité des modes et des localisations de la datation ; la date portée peut se retrouver sur un élément de charpente (solive, poutre ou sablière), par exemple à Jeantes où une grange du village est datée de 1795 sur la solive maîtresse, alors qu´un autre logis possède une charpente datée de 1822, la date peut également être localisée sur le linteau de la cheminée de la pièce principale, ce qui est le cas d´une ferme à Saint-Clément (1820).
Le croisement de la typologie des modes de datation avec l´analyse, les matériaux de gros oeuvre des élévations du logis ou des dépendances agricoles montre que la datation par fers d´ancrage ne se retrouve pas sur l´habitat en pan de bois et torchis. Celui-ci est très peu daté par inscription, que ce soit sur la charpente, la cheminée ou tout autre support. On trouve cependant sur le canton d´Aubenton deux exemples attestés, l´un de 1795 à Jeantes, l´autre de 1820 à Saint-Clément, un troisième, à Coingt, n´a pu être vérifié, car il se trouve à l´intérieur d´un logis qu´il n´a pas été possible de visiter. La principale datation de l´habitat en pan de bois et torchis est fourni par la présence sur l´essentage d´ardoise d´inscriptions en chiffres arabes formés par le jeu et l´emploi d´ardoises colorées sur la demi-croupe du logis ou de dépendances agricoles, en particulier les granges (exemples cités plus haut à Jeantes, Martigny et Iviers). L´habitat en brique ou pierre est, quant à lui, généralement daté par fers d´ancrage, briques vernissées ou inscriptions en relief sur des éléments de pierre calcaire.
Si la datation portée existe dès le 17e siècle, son apogée se situe au 19e siècle, avec de très nombreux fers d´ancrage, mais tout mode de datation disparaît après la 1ère guerre mondiale. Si c´est le plus souvent le logis qui comporte la date portée ou les initiales du propriétaire, les dépendances agricoles en comportent également très fréquemment. De même, les dépendances agricoles peuvent comporter une datation portée et non le logis, même si celui-ci est contemporain de la construction de ces dépendances, sans que l´on puisse en déterminer une raison ou tout autre élément explicatif.
Décor porté de l´habitat
Le décor porté est d´une grande modestie en général et son utilisation est limitée à quelques exemples sur le canton d´Aubenton.
On trouve de la céramique architecturale polychrome, à décor géométrique ou floral qui concerne l´habitat de la fin du 19e siècle et de la 1ère moitié du 20e siècle (Martigny, Aubenton, Logny-les-Aubenton), ce type de décor reste limité sur les élévations (petits panneaux ou frises). Aucun exemple ne comportait de signature ou de marque permettant d´identifier le fabricant. De cette typologie de décor peut être rapproché l´emploi simple de brique vernissée polychrome dessinant des motifs ou soulignant la modénature architecturale, ce type est très proche de celui rencontré sur l´habitat urbain sériel de la fin du 19e siècle et du 20e siècle.
L´emploi de fer d´ancrage s´accompagne souvent d´un effet décoratif déjà cité plus haut, en particulier à Leuze (fer en forme de médaillons circulaires à rayons imitant la forme d´un soleil), très perceptible sur l´habitat de la deuxième moitié du 19e siècle et de la première moitié du 20e siècle. Un cas exceptionnel est celui de la maison de Narcisse Greno à Landouzy-la-Ville, ornée de fers d´ancrage en forme de triangle maçonnique ; le décor exprime les convictions de libre-penseur de Greno, comme l´indique aussi l´inscription sur sa tombe. Les fers d´ancrage en forme d´initiales se retrouvent principalement sur l´élévation principale ou les murs pignons du logis ou des dépendances agricoles. Les souches de cheminée peuvent également être ornées de fers d´ancrage formant des initiales, la fonction décorative étant alors doublée d´une volonté ostentatoire manifeste.
Certains corps de logis, en brique, mais surtout en pan de bois et torchis ont reçu, dans les années 1880-1914, un habillage d´enduit cimenté architecturé reprenant une modénature néo-classique (Jeantes, Logny-lès-Aubenton, Iviers, Aubenton : Ribeauville). Selon la tradition orale locale, une entreprise de maçonnerie établie à Logny-lès-Aubenton au début du 20e siècle était spécialisée dans ce type d´habillage (mais cette information n´a pu être confirmée par des sources écrites).
Certaines plaques en pierre calcaire donnant la date de construction du logis comportent également un décor, soit un vase avec des fleurs (Any-Martin-Rieux), soit des fleurs (Saint-Clément) ou des motifs géométriques... De nombreuses fermes comportent également un imposte en bois à décor géométrique ou symbolique (Coingt, Landouzy-la-Ville, Iviers, Besmont).
Il semble que certains décors, assez rares, aient pu correspondre à des métiers ou des statuts sociaux : à Any-Martin-Rieux, une dalle semble porter la représentation d´une charrue et d´une forge (cette ferme aurait été celle d´un maréchal-ferrant ou d´un forgeron) ; à Martigny, on trouve un décor de deux cors de chasse.
Le jeu sur les matériaux permet également des effets décoratifs : on associe brique et silex (Jeantes), brique et pierre de taille, appareil mixte (Mont-Saint-Jean, Martigny, Leuze), etc.
Comme les fers d´ancrage, outre le jeu de coloris de la datation, l´essentage d´ardoise peut comporter un motif figuré (un coeur sur le presbytère de Coingt, un coeur également surmonté d´une croix sur la toiture d´une ferme à Logny, mais ce dernier exemple serait en fait une création récente du début des années 1990 lors de la restauration de la toiture.
Le décor intérieur
De nombreux logis comportent des lambris de revêtement en chêne, à décor géométrique fondé sur le jeu de la juxtaposition de panneaux droits, chantournés ou mixtes. Peu de décors figurés ou à forme végétale. Une seule exception, une ferme à Landouzy-la-Ville, dont le logis en pan de bois et torchis 18e siècle comporte des lambris de style rocaille qui proviendraient de l´abbaye de Bucilly (ils sont en effet identiques aux lambris de Notre-Dame d´Aubenton) et qui semblent donc être « hors typologie ».
Typologie de l´implantation de l´habitat
Pour l´implantation des villages, plusieurs types peuvent être dégagés, reprenant les modèles d´appropriation et d´exploitation du sol. A des villages, sans écarts ou en très petit nombre, formant un noyau centré autour de l´église (Logny-les-Aubenton, Leuze, Mont-Saint-Jean), s´opposent des villages où le noyau autour de l´église n´est qu´un écart parmi d´autres (Jeantes, Beaumé, Besmont, voire Landouzy-la-Ville).
D´autres présentent un urbanisme lâche s´étendant en longueur ou en largeur (Coingt, Iviers, Any-Martin-Rieux). La présence d´écarts formant des rues de plusieurs kilomètres de long correspond au défrichement de type germanique ou siedlungen : il s´agit d´un habitat disposé de part et d´autre de l´axe de communication, ceci est particulièrement perceptible à Jeantes (écart La Sablonnière, La Longue Rue de bas et de haut, Coutenval), Besmont (La Rue Charles), Aubenton (Ribeauville), Martigny (La Grande Boulhoye), Landouzy-la-Ville (La Longue Rue des Boeufs, Le Régiment, l´Ange gardien).
Typologie de l´habitat
Le module le plus fréquent est constitué d´un corps de bâtiment de plan rectangulaire abritant sous un même toit le logis et une étable à vache ou chevaux attenante voire une remise agricole ; le plus souvent, une grange attenante à l´extrémité de ce corps de bâtiment forme un corps en retour ; le plan de la ferme est ainsi en L. La présence ou non d´autres dépendances agricoles ou d´un logement varie selon la taille et l´importance de l´exploitation agricole.
Ce module de base est susceptible de déclinaisons (présence d´une ou plusieurs granges, de porcherie, poulailler, fromagerie ou laiterie, logement ouvrier agricole, etc.), mais reste basé sur le principe d´un logis avec étable attenante sous le même toit et le reste des dépendances disposé autour de la cour. La commune d´Any-Martin-Rieux présente, et plus particulièrement dans le hameau de Martin-Rieux, des fermes possédant une typologie particulière, appelée localement « ardennaise » ; cette commune est, en effet, limitrophe de ce département. Il s´agit d´une ferme constituée d´un corps unique de bâtiment rectangulaire en longueur où se succèdent sous le même toit logis, étable, grange et autres dépendances agricoles. Any-Martin-Rieux possède aussi ce qui semble être une ferme fortifiée, ruinée. C´est un édifice rectangulaire avec à son angle une échauguette circulaire en brique. Cet édifice pourrait cependant ne pas avoir eu de fonctions agricoles.
Le logis comporte un nombre très divers de travées, de 2 pour les plus petites unités (logement d´ouvrier agricole à Aubenton ou Any-Martin-Rieux) à 7 ou 8 travées pour les logis les plus importants (ferme de la Sablonnière à Jeantes). L´analyse de l´emplacement de la porte d´entrée ne permet pas de proposer des conclusions « révolutionnaires », si ce n´est que la recherche d´une symétrie ou d´une élévation architecturée conduit au plan d´un couloir traversant central distribuant les pièces symétriquement. L´escalier est généralement au fond du couloir.
Si l´on excepte le cas de la ferme d´abbaye de Jeantes-la-Cour, qui relève de la typologie des fermes d´abbaye (logis individualisé à étage, corps de bâtiments et dépendances agricoles formant cour fermée, pigeonnier-porche, etc)., la typologie de la ferme à cour fermée avec bâtiments est rare à Aubenton. On dénombre un exemple à Martigny (ferme des Wattines), Jeantes, Iviers (Bois des Nuées), et Leuze (mais il s´agit là d´un cas limite). Les fermes du Bois des Nuées et des Wattines sont exceptionnelles et liées à une occupation ancienne seigneuriale ; les bâtiments actuels datant du 19e siècle ou très remaniés à cette époque semblent reprendre le plan ou les dispositions des bâtiments primitifs.
Le type le plus courant du logis comporte un sous-sol ou cave, et un rez-de-chaussée souvent surélevé avec un comble à surcroît. La présence d´un étage carré ou d´un étage de comble semble être un indice du niveau social et de la richesse de l´exploitation.
Aucun exemple de pigeonnier-porche n´existe encore en place (sauf à Jeantes-la-Cour), les pigeonniers-porches connus par descriptions ou cartes postales (Jeantes : village et La Sablonnière, Besmont : La Rue Charles, Martigny) ont disparu, ils étaient liés à des exploitations agricoles de taille assez importante et des propriétaires aisés, et sont toujours perçus localement comme un signe distinctif de l´architecture traditionnelle en Thiérache.
Couvrement
Le toit à demi-croupe est la norme avec une couverture qui était primitivement en ardoise ou en chaume. S´il est fait mention de couverture en chaume au cours de la 1ère moitié du 19e siècle, aucune n´a subsisté, et le chaume est remplacé par l´ardoise dès la deuxième moitié du siècle. La couverture en ardoise provenant des Ardennes proches est un élément très caractéristique de la typologie du bâti thiérachien. L´ardoise a été progressivement remplacée à partir de la 2e moitié du 20e siècle par de l´ardoise synthétique ou, selon les moyens financiers des propriétaires, par de la tôle ondulée, ce dernier matériau étant principalement utilisé pour les dépendances agricoles.